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Monument au marquis Jouffroy d'Abbans, 1946, Besançon. Photo : @Arnaud 25

Jouffroy d’Abbans : l’ingénieur français qui inventa le premier bateau à vapeur

Figure majeure mais longtemps oubliée de l’histoire industrielle, le franc-maçon, Claude François de Jouffroy d’Abbans est l’un des pionniers mondiaux de la navigation à vapeur. De la construction du Palmipède aux démonstrations du Pyroscaphe sur la Saône, son œuvre a ouvert la voie au transport fluvial moderne, bien avant Robert Fulton. Retour sur la trajectoire passionnée et tourmentée d’un inventeur hors norme.

Né le 30 septembre 1751 au château de Roches-sur-Rognon, en Champagne, Claude François Dorothée de Jouffroy d’Abbans grandit dans une famille noble où l’apprentissage des sciences côtoie l’esprit de cour. Envoyé adolescent à Versailles comme page au service de la princesse dauphine Marie-Josèphe de Saxe, il revient rapidement en Franche-Comté, où il poursuit ses études et découvre, auprès de ses maîtres dominicains, une discipline intellectuelle qui marquera son goût précoce pour l’ingénierie.

Initié à la franc-maçonnerie en 1768 à Besançon, il fréquente alors un milieu d’officiers, de lettrés et de scientifiques, noyau des innovations techniques de la fin du XVIIIe siècle. Mais sa carrière militaire s’interrompt brutalement en 1772 : une altercation avec le comte d’Artois, petit-fils de Louis XV, lui vaut une lettre de cachet et une détention au fort de l’île Sainte-Marguerite. Une épreuve fondatrice. Enfermé face à la mer, il observe le passage des galères, étudie les sciences et rêve déjà d’un navire mû par une force mécanique.

À sa libération en 1774, Jouffroy d’Abbans se consacre entièrement à la propulsion navale. Grâce au soutien financier de sa sœur Marie-Élisabeth et de l’abbaye de Baume-les-Dames, il construit son premier prototype : le Palmipède, une embarcation dont la machine à vapeur actionne des rames articulées en forme de palmes. L’essai de juin 1776 sur le Doubs, à Baume-les-Dames, constitue l’un des tout premiers succès documentés d’un bateau à vapeur en Europe.

Mais l’inventeur vise plus ambitieux. Retiré dans son château d’Abbans après une brouille avec ses associés, il conçoit un système de propulsion par roues à aubes, plus stable et mieux adapté à la navigation en rivière. En 1781, à Lyon, il construit le Pyroscaphe, un navire de 46 mètres et 182 tonneaux équipé d’une machine à vapeur perfectionnée. Le 15 juillet 1783, devant près de 10 000 spectateurs, il réalise la première navigation publique à vapeur sur la Saône, de Saint-Jean à l’île Barbe. Ce moment, souvent contesté ou enjolivé dans la mémoire collective, n’en demeure pas moins une avancée historique qui précède de vingt-quatre ans les applications commerciales de Robert Fulton.

Démonstration du Pyroscaphe à Lyon, le 15 juillet 1783.

La Révolution française et la Terreur brisent cependant la trajectoire de Jouffroy d’Abbans. Ruiné, contraint à l’exil, il interrompt ses travaux avant de revenir en France en 1795. Il refuse de mettre son génie au service de Napoléon, mais reprend ses recherches sous la Restauration, soutenu par Louis XVIII puis Charles X. Le 20 août 1816, il inaugure sur la Seine le Charles-Philippe, premier service régulier de navigation à vapeur entre Paris et Montereau. La France possède enfin son propre bateau à vapeur opérationnel, un jalon essentiel dans l’histoire du transport fluvial européen.

Lancement du Charles Philippe, sur la Seine à Paris, le 20 août 1816.

Mais l’inventeur ne profite guère de ses innovations. Accablé par les dettes, affaibli par l’âge et la disparition de son épouse en 1829, il finit ses jours à l’hôtel des Invalides, où il meurt le 18 juillet 1832, victime de la deuxième pandémie de choléra.

Personnage visionnaire mais trop souvent éclipsé par les réussites de ses contemporains étrangers, Jouffroy d’Abbans n’en a pas moins inauguré une révolution technique majeure. Le XIXᵉ siècle verra son idée triompher, avant que la vapeur ne cède sa place aux moteurs à essence et au diesel.

Aujourd’hui, monuments, rues, établissements scolaires et même un timbre commémoratif rappellent le rôle de cet ingénieur franc-comtois dans l’émergence de la navigation moderne. À Lyon, Baume-les-Dames ou Besançon, ses statues veillent toujours, orientées vers la rivière qu’il rêvait de dompter.

Sources :

Wikipédia – Claude François de Jouffroy d’Abbans – https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_de_Jouffroy_d%27Abbans

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