Jean-Marie Le Pen, l’homme qui a redéfini l’échiquier politique français en plaçant l’extrême droite au centre des débats, est décédé le mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans, à Garches (Hauts-de-Seine). Retour sur une carrière politique marquée par les controverses, les succès électoraux et une profonde transformation de l’extrême droite française.
Né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer, dans une famille modeste, Jean-Marie Le Pen a commencé sa carrière politique en 1956 en tant que plus jeune député élu sous la bannière poujadiste. Après avoir participé aux guerres d’Indochine et d’Algérie, où il sera décoré, par le général Massu, de la croix de la Valeur militaire, il s’est imposé comme l’un des principaux leaders de la droite nationale. Ses discours populistes, souvent empreints de provocation, l’ont propulsé au-devant de la scène politique tout en suscitant de vives controverses.
Après s’être brouillé avec Pierre Poujade, Jean-Marie Le Pen a rejoint le Centre national des indépendants et paysans (CNIP), parti de droite qui était le moins regardant avec les pro-OAS et ancien vichystes, d’Antoine Pinay, qui était à la tête des réseaux stay-behind de l’OTAN.
En 1972, Le Pen fonde le Front national (FN), une formation politique qui fera ses premières percées dans les années 1980, notamment avec les élections municipales de Dreux en 1983 et les européennes de 1984. Jean-Marie Le Pen transforme alors un groupuscule en un parti politique incontournable, capitalisant sur les inquiétudes économiques et migratoires.
Le tournant historique de 2002
Le 21 avril 2002 marque un événement majeur dans l’histoire politique française : Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour de l’élection présidentielle, face à Jacques Chirac. L’aggression de Paul Voise, un retraité d’Orléans agressé à son domicile, trois jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 avait sans doute joué en sa faveur. Bien qu’écrasé avec seulement 17,79 % des voix au second tour, cet exploit consacre l’ascension du FN et ouvre la voie à une nouvelle ère pour l’extrême droite française.
Cependant, cette victoire symbolique marquera aussi le début du reflux électoral de Jean-Marie Le Pen. À l’élection présidentielle de 2007, il n’obtient que 10 % des suffrages, en grande partie éclipsé par Nicolas Sarkozy, qui adopte certains thèmes frontistes.
Une succession marquée par des tensions
En 2011, Marine Le Pen succède à son père à la tête du FN. Cette transition générationnelle s’accompagne d’une stratégie de « dédiabolisation » visant à rendre le parti plus acceptable sur la scène politique. Jean-Marie Le Pen, opposé à cette évolution, multiplie les critiques à l’encontre de sa fille, menant à une rupture en 2015, après ses propos polémiques sur les chambres à gaz.
Malgré les tensions, Marine Le Pen parvient à consolider la place du Front national, rebaptisé Rassemblement national (RN), qui devient l’une des principales forces politiques françaises. En 2022, elle obtient 89 députés, un record salué par son père comme une « grande victoire ».
Un héritage controversé
Jean-Marie Le Pen laisse derrière lui un héritage complexe. Ses propos racistes et antésémites, ainsi que ses positions sur la torture pendant la guerre d’Algérie, ont laissé une empreinte sulfureuse. L’historien Pierre Vidal-Naquet a exhumé en 1962, des rapports de police datant de 1957 dans lesquels un ancien détenu l’accusait de l’avoir torturé, notamment à l’aide de la « gégène », générateur électrique utilisé durant la guerre d’Algérie pour faire parler les prisonniers en leur envoyant des décharges dans le corps. « J’ai torturé parce qu’il fallait le faire », assumait Jean-Marie Le Pen, dans les colonnes du journal Combat. Dans ses mémoires publiée une cinquantaine d’années plus tard, il défend l’usage de la torture tout en niant y avoir eu recours.
En 1984, Le Canard enchaîné relance des accusations datant de 1957, évoquant la mort d’Ahmed Moulay, torturé sous les yeux de sa famille par des parachutistes. En 2000, Le Monde rapporte qu’un poignard retrouvé sur place portait l’inscription « J. M. Le Pen, 1er REP ». Malgré des poursuites judiciaires, Jean-Marie Le Pen perd ses procès contre le journal.
Ses déclarations sur « les chambres à gaz, détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale », ou encore ses provocations comme le célèbre « Durafour-crématoire », lui ont valu d’être condamné pour antisémitisme, racisme ou apologie des crimes de guerres nazis. Dans le livre intitulé le « Testament du diable, les derniers secrets de Jean-Marie Le Pen », d’Azzedine Ahmed Chaouch, le leader du Front national, affirmait qu’Israël était à l’origine du bad buzz qui avait suivi ses déclarations sur les chambres à gaz et que le Mossad, dispose d’un organisme « chargé d’orchestrer les campagnes d’opinion dans le monde ».
Les rapports méconnus de Jean-Marie Le Pen avec Israël
Pourtant dans un article publié le 7 janvier 2024, The Time of Israel s’est intéressé aux rapports entre le leader du Front National et l’état hébreux, qui « ‘n’ont jamais fait la une ». Lors d’une interview accordée en 2022 au média, Israël Ayom, Jean-Marie Le Pen assurait avoir « combattu aux côtés des soldats israéliens lors de la guerre du Sinaï en 1956 », précisant avoir fait partie des soldats Français engagés dans la campagne de Suez. Sa maison d’édition fondée en 1963 a également publié du contenu sur l’histoire d’Israël, dont un vynil sur lequel c’est Jean-Marie Le Pen en personne, qui se prête à l’exercice de la voix-off. Le leader du Rassemblement national s’est également rendu à New York en 1987, pour rencontrer des membres du congrès juif mondial.
Ainsi, Jean-Marie Le Pen qui a réhabilité l’extrême droite après guerre laisse un héritage controversé. Si sa fille a dédiabolisé le parti et s’est rapprochée de la communauté juive, comme en témoigne les déclarations bienveillantes d’Arno Klarsfeld ou de Serge Moati, le jour du décès de son père sur BFMTV, il n’en reste pas moins que le leader du Front National s’inscrit dans la tradition de l’extrême droite française, même s’il avait déjà entretenu des rapports complexes avec la communauté Juve et Israël.
Sources : Le Monde, The Time of Israel, Israël Ayom.