Au procès des anciens dirigeants du groupe Casino, le Parquet national financier a fustigé une « opération de barbouzes » mêlant le patron Jean-Charles Naouri et le polémique journaliste financier Nicolas Miguet. Le ministère public a requis jusqu’à quatre ans de prison et de lourdes amendes pour corruption et manipulation de cours.
C’est un procès à la tonalité explosive qui s’est poursuivi jeudi 16 octobre devant le tribunal correctionnel de Paris. À la barre, cinq anciens cadres du groupe Casino, dont son ex-PDG Jean-Charles Naouri, et le journaliste financier Nicolas Miguet, comparaissent pour corruption privée et manipulation de cours en bande organisée. Face à eux, un Parquet national financier (PNF) particulièrement offensif, qui dénonce une « opération de barbouzes » destinée à fausser artificiellement le cours de Bourse du distributeur français, autrefois fleuron du commerce hexagonal.
« Cette affaire, c’est l’histoire d’un pacte corruptif contre-nature entre un émetteur de titres boursiers de premier plan et un journaliste de seconde zone », a lancé le vice-procureur Smaël Coulaud dans un réquisitoire cinglant. Selon lui, les deux protagonistes « n’ont eu aucun scrupule à faire des petits porteurs de la chair à canon ». Le ministère public a ainsi requis quatre ans de prison dont un ferme aménageable à domicile et deux millions d’euros d’amende contre Jean-Charles Naouri, et quatre ans ferme avec exécution provisoire contre Nicolas Miguet, assortis d’amendes dépassant les deux millions d’euros pour lui et ses sociétés.
Au centre du dossier, un contrat signé le 15 septembre 2018 pour un montant de 823 000 euros, passé entre la direction de Casino et Nicolas Miguet. Officiellement présenté comme une prestation de communication, ce contrat aurait, selon le PNF, servi à rémunérer le journaliste pour promouvoir l’action Casino auprès de ses lecteurs et répandre de fausses rumeurs favorables au groupe — notamment une supposée offre de rachat par Carrefour. « La convention de prestations de services est à la délinquance en col blanc ce que la valise de billets est au blanchiment de trafic de stupéfiants », a asséné le procureur Jean-Christophe Michard.
À l’époque, l’entreprise, très endettée et sous pression des fonds spéculatifs, traversait une crise aiguë. Son cours de Bourse chutait dangereusement, menaçant directement la fortune et la réputation de Jean-Charles Naouri, alors à la tête du groupe depuis deux décennies. Dans ce contexte, le parquet estime que le patron de Casino aurait cherché à « mettre M. Miguet à son service le plus rapidement possible », afin de redorer le blason du groupe sur les marchés.
Le plan, baptisé secrètement « Opération Autriche », aurait été lancé dès la mi-septembre 2018. Des messages échangés entre les prévenus témoignent de la préparation minutieuse de cette campagne médiatique déguisée. « J’ai eu [Jean-Charles Naouri] au téléphone, on est carré sur le démarrage et le feuilleton », écrivait Miguet à Nicolas Boudot, alors directeur de la communication du groupe. Réponse enthousiaste : « Parfait ! » Quelques jours plus tard, un premier virement de 300 000 euros était effectué.
Pour le parquet, cette stratégie relève d’une manipulation concertée du marché boursier. Miguet, déjà condamné à dix-neuf reprises, aurait ainsi multiplié les articles favorables à Casino tout en accumulant lui-même plus de 150 000 actions du groupe, profitant directement des hausses de cours.
Le ministère public a également requis des peines de deux à trois ans de prison avec sursis pour trois anciens cadres du groupe, ainsi qu’une amende de 75 millions d’euros contre la société Casino, désormais contrôlée par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky depuis 2024.
Les plaidoiries de la défense sont attendues le 22 octobre. D’ici là, le PNF a d’ores et déjà donné le ton d’un procès emblématique des dérives du « capitalisme de connivence » français.
Sources :
Le Monde – Au procès des ex-dirigeants de Casino jugés pour corruption, le Parquet national financier vilipende une “opération de barbouzes” – https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/10/17/au-proces-des-ex-dirigeants-de-casino-juges-pour-corruption-le-parquet-national-financier-vilipende-une-operation-de-barbouzes_6647614_3224.html