Sous l’influence d’intellectuels conservateurs comme Patrick Deneen, Adrian Vermeule et Sohrab Ahmari, une nouvelle droite américaine plaide pour un ordre post-libéral fondé sur le « Bien commun », au détriment des droits individuels et du pluralisme démocratique.
Un vent de contre-révolution idéologique souffle sur la droite américaine. Aux marges du trumpisme classique, un courant intellectuel catholique, radicalement critique du libéralisme hérité des Lumières, prend de l’ampleur. Son nom : le post-libéralisme. Son objectif : instaurer un nouvel ordre politique centré sur le Bien commun, quitte à remettre en cause les droits individuels et le cadre démocratique actuel.
Un programme assumé de « changement de régime »
À la tête de cette mouvance, Patrick Deneen, professeur à l’université de Notre-Dame, s’est imposé comme figure de proue. Son ouvrage « Regime Change: Toward a Postliberal Future » (2023) appelle sans détour à remplacer les élites libérales par des élites « vertueuses », aptes à orienter la nation vers des valeurs comme la famille, la stabilité et la transmission culturelle. Une rupture avec le principe de neutralité de l’État, perçu comme source d’atomisation morale.
Un conservatisme autoritaire assumé
Le juriste Adrian Vermeule propose une architecture juridique à cette vision : le « common good constitutionalism ». Il rejette l’interprétation neutraliste de la Constitution pour y introduire des finalités morales substantielles. Pour ses détracteurs, cela ouvre la voie à un conservatisme autoritaire, tandis que ses partisans y voient une réponse au vide moral du libéralisme procédural.
Une critique sociale qui séduit au-delà de la droite
Plus surprenant : cette droite post-libérale affiche aussi un tournant social. L’écrivain et polémiste Sohrab Ahmari, fondateur de la revue Compact, s’attaque à la « tyrannie privée » des grandes entreprises et prône un État protecteur des travailleurs. Une position qui attire catholiques sociaux, syndicalistes et électeurs en quête de protection économique.
La percée politique de J.D. Vance
La nomination de J.D. Vance, vice-président de Donald Trump, a offert à cette idéologie une tribune inédite. Converti au catholicisme, critique du libéralisme culturel et partisan d’un ordre moral conservateur, Vance illustre la traduction politique du post-libéralisme, bien que sans l’adhésion doctrinaire complète.
Un modèle européen : la Hongrie de Viktor Orbán
Cette mouvance trouve une source d’inspiration directe en Hongrie, où Viktor Orbán assume une posture « illibérale ». L’universitaire américain Gladden Pappin, membre influent du cercle post-libéral, dirige aujourd’hui un think tank gouvernemental à Budapest. La Hongrie est ainsi devenue une vitrine de ce conservatisme interventionniste et nataliste.
Ni intégriste, ni purement théocratique, ce courant séduit par sa double promesse : réarmer moralement la société et protéger économiquement les perdants de la mondialisation. Mais en creux, il révèle l’essoufflement d’un libéralisme perçu comme gestionnaire, déconnecté des aspirations collectives. Reste à savoir si cette doctrine post-libérale basculera vers l’autoritarisme ou si elle saura s’inscrire dans le débat démocratique.
Source : Marianne.