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Ursula von der Leyen. Photo : @Etienne Ansotte/UE

Avoirs russes gelés : l’UE imagine un prêt de 170 milliards d’euros à l’Ukraine sans confiscation

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Comment aider massivement Kiev sans franchir la ligne rouge juridique de la saisie pure et simple ? Bruxelles peaufine un mécanisme pour mobiliser jusqu’à 170 milliards d’euros issus des avoirs russes gelés, en adossant un prêt européen à des obligations à taux zéro. Objectif déclaré : apporter de l’oxygène financier à l’Ukraine tout en préservant le principe d’immunité des biens souverains, même si Moscou pourrait voir cette manoeuvre d’un mauvais oeil.

Depuis le début de la guerre, l’Union européenne a immobilisé quelque 235 milliards d’euros d’avoirs russes, dont environ 210 milliards appartenant à la Banque centrale de Russie et logés en grande partie chez Euroclear, à Bruxelles. Pendant deux ans, les Vingt-Sept se sont limités à capter les revenus générés par ces montants, une manne fluctuante qui a permis d’alimenter des soutiens à Kyiv mais reste très inférieure aux besoins colossaux du pays. La Commission européenne teste désormais une voie plus ambitieuse : transformer une large part des actifs arrivés à échéance — près de 170 milliards d’euros désormais en trésorerie — en un prêt européen à l’Ukraine, sans toucher au capital russe lui-même. Selon le Financial Times, l’idée consiste à réinvestir ces liquidités dans des obligations européennes à taux zéro et à verser le produit de l’émission à Kiev, sous forme de « prêt de réparation ». L’Ukraine ne commencerait à le rembourser que lorsque la Russie paiera des dommages de guerre, a plaidé Ursula von der Leyen devant les eurodéputés.

Ce montage vise une quadrature du cercle : accélérer l’aide tout en préservant l’immunité des avoirs souverains, ligne rouge pour plusieurs capitales, dont Paris et Berlin, qui redoutent une perte de confiance des investisseurs internationaux si l’UE confisquait directement les réserves russes. En pratique, les actifs resteraient gelés pour toute la durée du prêt. Le risque financier serait porté collectivement par les États participants, possiblement via un véhicule ad hoc, et la structure s’articulerait avec le dispositif du G7 qui utilise déjà les profits des avoirs immobilisés pour servir un premier prêt de 50 milliards de dollars à l’Ukraine. La Belgique, qui abrite Euroclear, s’est récemment dite ouverte à des options plus « dynamiques » permettant de maximiser les rendements des actifs immobilisés, tout en évitant la confiscation frontale.

L’architecture juridique s’inspire de propositions élaborées depuis 2024 par le juriste Lee Buchheit et le journaliste Hugo Dixon : prêter aujourd’hui et prendre en garantie la créance de l’Ukraine sur la Russie au titre des réparations. Si Moscou refuse de payer demain, les prêteurs hériteraient de cette créance et pourraient l’opposer aux avoirs russes gelés tant que les sanctions demeurent. Cette logique de « compensation » permettrait de maintenir le principe : on ne saisit pas aujourd’hui les réserves d’un État — on les immobilise et on fait travailler leur position de trésorerie à des fins de soutien, le remboursement n’intervenant que si l’agresseur règle l’addition.

Reste l’écueil politique. L’immobilisation des avoirs souverains et certaines décisions connexes exigent l’unanimité : Budapest a déjà bloqué des paquets d’aide et pourrait tenter d’entraver une solution trop intégrée. Pour contourner un veto, Bruxelles étudie des voies impliquant la « coalition des volontaires » composée de pays affichant officiellement leur soutien à l’Ukraine, capable d’émettre et de garantir les obligations sans engager les États réticents. Dans un contexte où les besoins budgétaires de Kyiv frôlent 50 milliards de dollars par an, la fenêtre d’action se rétrécit : les seuls intérêts dégagés par les avoirs gelés, évalués à quelques milliards par an, ne suffisent plus.

À Moscou, l’irritation est palpable. Le Kremlin a prévenu que toute utilisation des fonds russes « ne resterait pas sans réponse ». Ces menaces s’ajoutent aux rétorsions déjà observées en Russie, où des actifs occidentaux ont été placés sous tutelle ou transférés à des entités proches du pouvoir. Les Européens, eux, rétorquent que la Russie devra payer pour les destructions provoquées en Ukraine et que le montage envisagé ne viole pas l’immunité des biens souverains : il exploite leur situation d’« actifs dormants » pour financer un prêt dont l’échéance dépend de la conduite de Moscou. La bataille se joue désormais autant dans les salles de marché que dans les chancelleries : à quelle condition l’Europe peut-elle mobiliser la puissance de son marché financier sans fissurer la confiance autour de l’euro ? Réponse dans les prochaines semaines, au gré des arbitrages entre légalité internationale, stabilité monétaire et impératifs de guerre.

Sources :
Financial Times – EU explores using €170bn of Russia’s frozen assets to fund Ukraine (17 septembre 2025) – https://www.ft.com/content/45852606-33e3-4be8-8be8-44ef80b1eaee
Reuters – EU floats plan to use frozen Russian assets for Ukraine loan, bypassing a Hungary veto (18 septembre 2025) – https://www.reuters.com/business/finance/eu-floats-plan-use-frozen-russian-assets-ukraine-loan-bypassing-hungary-veto-2025-09-18/
Kyiv Independent – Von der Leyen floats new Ukraine loan funded by Russian assets (10 septembre 2025) – https://kyivindependent.com/von-der-leyen-floats-new-ukraine-loan-funded-by-russian-assets/
Institut Montaigne – Squaring the Circle: How to Use Russia’s Frozen Assets for Ukraine (20 mars 2025) – https://www.institutmontaigne.org/en/expressions/squaring-circle-how-use-russias-frozen-assets-ukraine
OSW – The EU’s decision to use the profits generated by frozen Russian assets (24 mai 2024) – https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/analyses/2024-05-24/eus-decision-to-use-profits-generated-frozen-russian-assets

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