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Robert Boulin. Photo : @Msusu40/Wikipedia

Affaire Robert Boulin : Les zones d’ombre d’une mort mystérieuse qui hante la Ve République

Le 30 octobre 1979, le corps de Robert Boulin, ministre du Travail en exercice et franc-maçon, est retrouvé dans l’étang Rompu, en forêt de Rambouillet. Suicide ou assassinat ? Quarante-cinq ans plus tard, cette affaire continue de diviser la France et révèle les mécanismes troubles du pouvoir sous la Ve République.

En résumé :

1. Un ministre pressenti pour Matignon retrouvé mort dans 60 cm d’eau, en pleine guerre Giscard-Chirac et alors qu’il détenait des dossiers explosifs.

2. Autopsies incomplètes, preuves détruites, témoins intimidés et lettre posthume retouchée : la version officielle du suicide s’effrite.

3. Du SAC aux réseaux parallèles, jusqu’au témoignage dérangeant de l’ancien Vénérable Maître Michel Viot, affirmant que sa loge avait commandé une conférence sur le suicide dans la franc-maçonnerie, deux semaines avant la mort de Boulin, l’affaire dont l’enquête a été au mois d’août 2025, n’a toujours pas livré sa vérité.

Robert Boulin n’était pas un ministre ordinaire. En octobre 1979, cet homme de 59 ans, figure respectée du RPR et ministre du Travail sous le gouvernement de Raymond Barre, membre du groupe Bilderberg était pressenti pour devenir Premier ministre. Le président Valéry Giscard d’Estaing, un autre membre émérite du Bilderberg, voyait en lui le successeur idéal pour contrer les ambitions de Jacques Chirac à la présidentielle de 1981.

Le matin du 30 octobre 1979, à 8h40, des gendarmes découvrent son corps dans l’étang Rompu, une mare d’à peine 60 centimètres de profondeur située près de Montfort-l’Amaury. Sa voiture, une Peugeot 305 bleue, est garée à quelques mètres, couverte de boue. Sur le tableau de bord, un mot indique que les clés se trouvent dans sa poche droite. Elles seront finalement retrouvées par terre, dans les feuilles mortes.

L’affaire de Ramatuelle : un scandale immobilier ou un piège politique ?

Dans les jours précédant sa mort, Robert Boulin fait l’objet d’une campagne de presse concernant une affaire immobilière à Ramatuelle. Le journal d’extrême droite Minute révèle le 17 octobre qu’il aurait acheté en 1974 un terrain déjà vendu à d’autres acquéreurs par le promoteur Henri Tournet, proche de Jacques Foccart, figure centrale des réseaux françafricains.

Le Canard Enchaîné et Le Monde emboîtent le pas, publiant leurs propres enquêtes les 24 et 26 octobre. Boulin prépare une réponse détaillée pour rétablir la vérité et prouver qu’il a été victime d’une escroquerie. Cette lettre de cinq pages sera tapée par sa secrétaire le lundi 29 octobre, jour de sa disparition.

Les dernières heures : Un emploi du temps controversé

Le 29 octobre 1979, Robert Boulin déjeune avec son fils Bertrand et son gendre Éric Burgeat au ministère. Vers 15 heures, il quitte son domicile de Neuilly-sur-Seine au volant de sa Peugeot 305, seul. Il emporte avec lui quatre dossiers sensibles sortis du coffre du ministère, dont un concernant l’affaire des avions renifleurs d’Elf.

Deux témoins anonymes, cités par la police, affirment l’avoir vu à Montfort-l’Amaury entre 17h et 17h40, postant des lettres. Mais trente ans plus tard, de nouveaux témoignages viennent contredire cette version officielle. Un quatrième témoin, retrouvé en 2013 par le journaliste Benoît Collombat, affirme avoir vu Robert Boulin vers 17 heures dans une voiture, mais pas au volant. Deux hommes plus jeunes l’accompagnaient, l’un conduisant, l’autre assis à l’arrière.

Une autopsie incomplète et des preuves qui pisparaissent

L’autopsie réalisée le jour même soulève immédiatement des questions. Marcel Cats, chef de cabinet du ministre, s’oppose pendant quatre heures à l’examen complet du corps. Finalement, l’autopsie est partielle : la tête n’est pas examinée, alors que le visage de Boulin est largement tuméfié.

Les médecins légistes notent pourtant des éléments troublants. Les lividités cadavériques se trouvent sur la face postérieure du corps, indiquant qu’il est resté allongé sur le dos après la mort, alors qu’il a été retrouvé le ventre dans l’eau. Du Valium est détecté dans le sang en quantité importante, mais pas dans l’estomac, suggérant une injection.

Plus inquiétant encore, les preuves commencent à disparaître. En octobre 1980, les bocaux contenant les échantillons de sang sous scellés sont introuvables. En 1984, les poumons du ministre disparaissent à leur tour. Puis en 1985, une grande partie des archives du laboratoire de toxicologie est mise dans des sacs poubelles et déplacée dans un garage à Ivry-sur-Seine.

La lettre posthume : authentique ou falsifiée ?

Le lendemain de la découverte du corps, l’Agence France-Presse publie une lettre de cinq pages attribuée à Robert Boulin, qui avait été envoyé à trois médias et deux parlementaires : Gérard César et Jacques Chaban-Delmas, proche de la franc-maçonnerie. Le texte explique en détail l’affaire de Ramatuelle et démontre son innocence. Mais deux phrases, en début et en fin de document, mentionnent un suicide : « J’ai décidé de mettre fin à mes jours » et « je préfère la mort à la suspicion ».

La famille Boulin conteste immédiatement l’authenticité de cette lettre.

Selon eux, il s’agit du texte réellement écrit par le ministre pour se défendre, auquel on aurait ajouté ces mentions suicidaires. La secrétaire du ministre, Françoise Lecomte, confirme avoir tapé une lettre ressemblant mot pour mot au document publié, mais sans les phrases évoquant le suicide.

Autre élément troublant : l’AFP et Sud-Ouest n’ont jamais reçu d’original, seulement des photocopies. Aucune trace d’ADN de Robert Boulin ne figure sur ces documents. Et la première phrase mentionnant le suicide apparaît décalée du reste du texte.

De nombreuses lettres identiques auraient été reçues par de nombreux destinataires. Pierre Simon, ami franc-maçon de Robert Boulin, affirme notamment avoir reçu l’une d’entre elles. Il a déclaré qu’elle comportait deux lignes manuscrites authentiques de l’écriture de Boulin.

Le rôle du SAC et des réseaux parallèles

En 2013, le téléfilm « Crime d’État » de Pierre Aknine pointe du doigt le Service d’Action Civique, le SAC, cette organisation paramilitaire gaulliste alors dirigée par Charles Pasqua. En 1979, le SAC est en pleine dérive, multipliant les opérations troubles avant d’être dissous après la tuerie d’Auriol en 1981.

Plusieurs témoignages accablants émergent au fil des décennies. Alexandre Sanguinetti, cofondateur du SAC, aurait confié à sa fille qu’il s’agissait d’un assassinat. Maurice Robert, ancien du SDECE et proche de Jacques Foccart, affirme que « la version du suicide ne tient pas la route ».

En 2011, un ancien du SAC témoigne auprès de Sud-Ouest avoir été chargé en 1983 de cambrioler des documents relatifs à Robert Boulin dans une résidence du Libournais. Plus troublant encore, Bernard Fonfrède, assistant parlementaire de Boulin, révèle en 2013 avoir reçu l’ordre de détruire toutes les archives du ministre après sa mort, « par des hommes du SAC ». Quelques jours après ce témoignage, il est violemment agressé devant sa maison et échappe de peu à la mort.

La contre-autopsie de 1983 : Des fractures inexpliquées

En novembre 1983, après quatre ans de combat judiciaire, la famille Boulin obtient l’exhumation du corps. La contre-autopsie révèle des éléments que la première expertise avait « oubliés ». Les trois médecins légistes bordelais constatent « un traumatisme appuyé du massif facial, du vivant de Robert Boulin », avec deux fractures au nez et au maxillaire gauche.

L’un des assistants identifie clairement « une trace de corde circulaire au poignet droit » et « un hématome derrière la boîte crânienne ». Le médecin réanimateur présent lors de la découverte du corps témoignera en 2016 : « On avait l’impression qu’il avait été placé mort dans l’eau. Il n’avait pas la position d’un noyé. Un pompier m’a dit : ‘Tiens, on dirait qu’il sort d’une malle’. »

Un témoin capital surgit en 2022

En 2022, alors que le parquet s’apprête à requérir un non-lieu, un nouveau témoin se manifeste. Elio D., un homme âgé gravement malade, décide de parler avant de mourir. Il raconte avoir été invité quelques jours après la mort de Boulin au restaurant Le Roi René à Ville-d’Avray par Pierre Debizet, patron du SAC.

Là, il aurait entendu Debizet reprocher à deux membres du SAC d’avoir tué le ministre alors que « le patron » Charles Pasqua avait ordonné de lui « filer une danse ». Les deux hommes auraient répondu : « C’était un accident, il a fait un arrêt cardiaque, il est mort dans nos bras, et dans la panique, on l’a balancé dans l’étang. »

Elio D. avait noté la plaque d’immatriculation d’une des voitures, qu’il conserve pendant plus de quarante ans dans une boîte à gâteaux. Les enquêteurs retrouvent le propriétaire : Henri Geliot, un « truand » décédé en 1986, déjà mis en cause pour diverses violences avec arme à feu entre 1939 et 1958.

Le 30 août 2025, quelques mois après son témoignage, Elio D. est la cible de trois coups de feu à son domicile de Languidic dans le Morbihan. Une enquête est ouverte.

Une affaire toujours ouverte en 2025

Depuis août 2015, une nouvelle information judiciaire est en cours pour « arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat ». Le rapport d’expertise médico-légale de septembre 2020 conclut qu’ « il est impossible d’affirmer que Robert Boulin se soit suicidé par noyade dans l’étang profond de 60 centimètres d’eau et de vase ».

Pour Marie Dosé, avocate de Fabienne Boulin-Burgeat, la fille du ministre, « plus personne aujourd’hui ne peut affirmer que Robert Boulin s’est suicidé, sauf ceux qui ont intérêt à le faire ». La famille a assigné l’État français pour « faute lourde » en 2021 et continue de réclamer la vérité.

Pourquoi cette affaire reste emblématique

L’affaire Robert Boulin cristallise les zones d’ombre de la Ve République : réseaux parallèles, financement occulte des partis politiques, manipulation d’enquêtes judiciaires et destruction de preuves. Le ministre aurait eu connaissance de dossiers sensibles sur Elf-Gabon, les avions renifleurs et le financement du RPR par des régimes étrangers,  notamment via Saddam Hussein et Omar Bongo.

Le témoigne incroyable de l’ancien Vénérable Maître de la loge James Anderson

Dans un billet publié en 2010 dans Le Nouvel Obs, Michel Viot, ancien Vénérable Maître de la loge James Anderson (Grande Loge de France), affirme avoir initié Robert Boulin à la franc-maçonnerie en 1975-76. Il expliquait que peu après la mort de Boulin, Pierre Pascal,  ancien conseiller spécial  de Chaban-Delmas, lui aurait indiqué « les vraies raisons du suicide, bien éloignées de l’affaire de Ramatuelle ». « Robert savait qu’on voulait salir sa réputation pour l’empêcher d’accéder à de plus hautes fonctions », expliquait Viot, ajoutant qu’il aurait choisi la thèse du suicide pour protéger sa famille. Il aurait été question de faire passer la femme de Boulin pour une nymphomane tombée dans les bras de Henri Tournet. Chaban-Delmas aurait confirmé cette explication à Michel Viot.

En 1979, la présidentielle de 1981 se préparait déjà : Giscard voulait se représenter, mais craignait la concurrence de Chirac. Il voyait en Boulin un homme de compromis, d’autant qu’il ne faisait par partie du cercle proche de Chirac, bien qu’il était membre du RPR. Contre toute attente, Raymond Barre restera toutefois en poste jusqu’en mai 1981, soit jusqu’à la fin du mandat de Giscard.

Autre fait troublant, la loge de Michel Viot lui a demandé de travailler sur une conférence sur le thème « suicide et initiation ». Cette demande aurait été faite quinze jours la mort de Boulin et en sa présence, selon Viot. Certains frères ont même affirmé que Boulin a collaboré à cette évènement qui a failli être annulé puisqu’il intervenait deux jours après la mort de Boulin, mais Michel Viot dément dans son billet. Celui-ci affirmait également ne plus croire à la thèse du sucicide après que les enquêtes du journaliste Benoît Collombat (auteur du livre Un homme à abattre) l’aient ébranlé alors qu’il venait de quitter la franc-maçonnerie et l’Eglise luthérienne, pour entrer dans l’Eglise catholique et se préparer à la prêtrise.

Quarante-cinq ans après les faits, cette mort mystérieuse continue de hanter la mémoire collective française et de questionner les mécanismes du pouvoir. Entre raison d’État et vérité judiciaire, l’affaire Robert Boulin reste l’un des derniers grands mystères non résolus de notre histoire politique contemporaine.

Sources : Wikipedia, Nouvel Obs.

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