Mardi 6 février, des perquisitions ont été menées par la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale au siège et dans les bureaux de Lactalis, ainsi que chez son PDG, Emmanuel Besnier. Ces opérations font suite à une enquête préliminaire ouverte par le Parquet national financier (PNF) pour fraude fiscale aggravée et blanchiment de fraude fiscale aggravée. Ce n’est pas la première fois que cette entreprise qui s’est développée en rachetant des entreprises à des grands groupes, membres du Forum économique mondial, comme Nestlé et Danone se retrouve dans la tourmente.
Selon les informations du Monde, la structure fiscale de Lactalis lui aurait permis de soustraire plusieurs centaines de millions d’euros d’impôts, grâce à des montages sophistiqués et ingénieux. Les perquisitions font partie d’une procédure concernant des faits datant de 2009 à 2020.
Cette enquête a été déclenchée en 2018 suite aux révélations de Mediacités, Ebdo, Les Jours, Mediapart et Disclose, mettant en lumière les filiales financières de Lactalis en Belgique et au Luxembourg, soupçonnées de déplacer artificiellement les bénéfices du groupe pour réduire sa base taxable en France. En 2020, ces pratiques auraient coûté 220 millions d’euros aux finances publiques françaises pour la période de 2013 à 2018.
Dans un article publié le 20 octobre 2020, Disclose expliquait en détail, les mécanismes complexes d’évasion fiscale mis en place par Lactalis, qui comprenait la création de dettes fictives, de créances entre les sociétés du groupe et d’emprunts entre filiales.
Le premier mécanisme reposait sur la création de dettes fictives, générées par un délai de paiement accordé aux fournisseurs de lait. Ces dettes étaient transférées entre différentes holdings du groupe, permettant de diminuer les bénéfices déclarés et donc l’impôt à payer.
Le deuxième mécanisme impliquait la remontée de créances, où les filiales du groupe doivent de l’argent à une holding située en Belgique, permettant de rapatrier les bénéfices des filiales vers ce pays et de bénéficier de taux d’imposition plus avantageux.
Enfin, le troisième mécanisme consiste en des emprunts entre sociétés du groupe, permettant de déplacer les bénéfices vers des filiales situées dans des paradis fiscaux comme le Luxembourg, réduisant ainsi l’impôt à payer dans les pays où les bénéfices sont générés.
La société Nethuns, une coquille vide basée au Luxembourg, est au cœur de ce système en convertissant les créances en capital, ce qui permettait d’augmenter la valeur des actions et de transférer les bénéfices vers des paradis fiscaux. Cette pratique complexe impliquait également la participation de la Société générale Bank & Trust (SGBT), affiliée au Forum économique mondial.
Parallèlement à l’enquête judiciaire, l’administration fiscale a également mené ses investigations, perquisitionnant le siège de Lactalis dès juillet 2019. Ces contrôles ont abouti à une dénonciation fiscale obligatoire au PNF en 2022. Nethuns, a été contrôlée par le fisc français en 2019 avant d’être placée en liquidation en 2022.
Toujours est-il que la perquisition qui a eu lieu le 6 février semble avoir provoqué des remous du côté de Lacatalis. Sur X, un internaute a publié un mail envoyé le lendemain par Vincent Bignon, directeur consolidation reporting & normes de Lactalis à « tout les interlocuteurs comptable hors France » du groupe.
Bien que les investigations ne portent pas encore sur la fiscalité personnelle d’Emmanuel Besnier, actionnaire principal de Lactalis, son rôle central dans l’entreprise attire l’attention des enquêteurs en raison de l’étroite connexion entre les holdings familiales et l’entreprise.
Lactalis un grouperai s’est développé en rachetant des entreprises à des groupes affiliés au Forum économique mondial
Emmanuel Besnier est le petit fils d’André Besnier, qui avait fondé le groupe Besnier avant de la rebaptisé Lactalis. Sa fortune personnelle était estimée à 20,9 milliards de dollars au 28 février 2023, selon Forbes.
Le groupe Besnier puit Lactalis s’est développé en rachetant des entreprises à des groupes affiliées au Forum économique mondial. On peut citer les rachats de Claudel-Roustand et Locatelli à Nestlé, le groupe affilié au FEM, qui a d’ailleurs détenu 20% des parts de Lactalis, dans le passé, ou le rachat de Galbani en 2006 à Danone, qui est aussi membre du FEM. En 2011, le groupe Lactalis, a acquis 29 % du groupe Parmalat avec le soutien de la Société générale, qui est affiliée au Forum économique mondial et du Crédit agricole, qui est détenu majoritairement par ses caisses régionales, comme le prévoit son statut mutualiste, mais aussi par The vanguard group, qui appartient en partie à Black Rock, le fonds de pension affilié au FEM et BNP Paribas, la banque française qui est aussi membre du Forum économique mondial. Autrefois florissant, le groupe Parmalat a été secouée par un scandale financier fin 2003, qui a ruiné 135 000 épargnants italiens. Le directeur financier de Parmalat, Calisto Tanzi a été condamné en 2010 à 18 ans de prison pour « banqueroute frauduleuse et association de malfaiteurs ». Dans un autre procès les responsaibilité des banques Citigroup, Deutsche Bank, Morgan Stanley et Bank of America, toutes affiliées au FEM, ont été établies.
Les scandales et litiges financiers passés
Au fil des années, Lactalis a été confronté à plusieurs scandales et litiges avec l’administration fiscale et l’Urssaf, qu’elle conteste généralement devant les tribunaux.
En 1972, le PDG de la société Besnier a été condamné pour falsification de lait. En 1999, le groupe Lactalis a été condamné pour avoir pratiqué des méthodes non conformes dans la production de certains fromages. En 2006, son directeur général était sanctionné pour avoir dissimulé des pratiques de falsification de lait. En 2012, des accusations de vente de lait stérilisé comme du lait frais pasteurisé étaient portées contre le groupe. En 2018, Lactalis était visé par une plainte pour escroquerie et tromperie sur la nature des produits laitiers livrés à une autre entreprise.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, Lactalis a été au centre d’un scandale en 2017 lorsqu’il a été révélé que des lots de laits infantiles fabriqués par le groupe étaient contaminés par des salmonelles, affectant plusieurs nourrissons.
En décembre 2017, des mesures de rappel et de retrait étaient étendues par le ministère de l’Économie et des Finances en raison de l’insuffisance des mesures sanitaires prises par Lactalis pour maîtriser le risque de contamination. Peu après, plusieurs familles et l’UFC-Que Choisir portaient plainte contre Lactalis pour mise en danger de la vie d’autrui et tromperie. Le scandale a entraîné l’arrêt de la distribution des produits de la marque par Intermarché, mais d’autres grandes enseignes comme Leclerc, Auchan, Système U, Carrefour et Casino, les deux derniers groupes étant membres du FEM, ont continué la vente malgré le rappel.
Le 11 janvier 2018, le ministre de l’Économie et contributeur du Forum économique mondial, Bruno Le Maire, a réagi en convoquant les acteurs de la grande distribution et la direction de Lactalis pour enquêter sur la gestion de l’affaire. Emmanuel Besnier avait refusé dans un premier temps de se rendre à une convocation, mais avait fini par accepté l’invitation du ministre. Un refus d’autant plus regrettable qu’à la mort de leur père, les Besnier ont trouvé une solution avec Bercy afin d’étaler les paiements des droits de succession.
Des auditions ont également été menées au Sénat pour comprendre les dysfonctionnements et déterminer les actions à entreprendre pour éviter qu’ils ne se reproduisent. Lactalis a annoncé le rappel des produits dans 83 pays, présentant ses excuses aux familles des victimes.
Une commission d’enquête parlementaire a été mise en place pour tirer les leçons de cette crise alimentaire. En février 2018, il était révélé que l’épidémie a affecté 37 nourrissons en France et d’autres dans d’autres pays européens. L’enquête a également révèlé que Lactalis n’a pas transmis les résultats d’autocontrôles positifs à la salmonelle lors des inspections sanitaires précédentes.
En août 2018, des informations sensibles concernant l’affaire ont été dérobées dans les bureaux de la Direction générale des fraudes, ce qui a conduit les familles des victimes à porter plainte pour dissimulation de preuves. Malgré ces scandales, l’usine de Craon redémarrait en septembre de la même année.
En janvier 2019, des extraits du rapport d’enquête de la répression des fraudes révèlaient que Lactalis a négligé des alertes de parents concernant la contamination. Lactalis a porté plainte pour atteinte à la présomption d’innocence, mais le groupe était débouté en octobre 2020.
En décembre 2019, le PDG de Lactalis était placé en garde à vue dans le cadre de cette affaire, mais n’a pas été mis en examen.
De plus, plusieurs usines de Lactalis ont été accusées de pollution de cours d’eau, ce qui a entraîné des amendes et des condamnations.
Lactalis a été impliqué dans des affaires d’abus de position dominante et d’entente sur les prix.
En 2004, la marque Roquefort Société, appartenant à Lactalis, était condamnée pour abus de position dominante. En mars 2015, sa coentreprise, Lactalis Nestlé Ultra Frais, qu’elle possède avec le groupe Nestlé, affilié au FEM, était condamnée dans l’affaire dite du « cartel du yaourt », pour entente illicite sur les prix et les appels d’offres pour produits laitiers frais.
Enfin, Lactalis a également été critiqué pour ses pratiques commerciales vis-à-vis des agriculteurs, accusé d’acheter le lait à un prix trop bas, ce qui a contribué à la crise dans le secteur laitier.
Dans une lettre ouverte publiée le 25 janvier dans L’Humanité adressée à Bruno Le Maire, Thierry Roquefeuil, président de la Fédération nationale de producteurs de lait, dénonçait le double discours de Bruno Le Maire qui annonçait une hausse des tarifs de l’énergie, alors qu’il demandait une baisse des prix alimentaires depuis des mois. Il pointait également du doigt, les grandes entreprises laitières, comme Lactalis, proposant des prix inférieurs aux coûts de revient, ce qui menaçait selon lui, la rémunération des producteurs.
Lactalis a répondu sur X :
Le 1er février, Bruno Le Maire a abordé la question des centrales d’achat européennes lors d’une conférence de presse commune avec Gabriel Attal, insistant sur le fait que la loi française doit s’appliquer intégralement aux produits vendus en France, indépendamment du lieu de négociation. Il a promis de sanctionner sévèrement tout contournement de la loi via ces centrales, avec des amendes significatives déjà imposées.
Pour renforcer le cadre des négociations au sein de l’Union européenne, Le Maire envisage de lancer une initiative européenne cet été pour établir un réseau intégré de répression des fraudes, permettant ainsi des enquêtes coordonnées à l’échelle de l’UE.