L’histoire officielle de la construction européenne aime les récits lisses, consensuels et moralisateurs. Elle parle de paix, de réconciliation et de dépassement des nations. Mais lorsqu’on gratte le vernis, un fait dérangeant s’impose : le premier président de la Commission européenne, Walter Hallstein, est un pur produit des élites allemandes formées, promues et intégrées sous le IIIᵉ Reich, qui a entretenu des relations avec les Etats-unis après 1945 avant de participer aux réunions du groupe Bilderberg de 1958 et 1964.
Né en 1901 à Mayence, Walter Hallstein a étudié le droit à Bonn, Munich et Berlin, se spécialisant en droit international privé et obtenant son doctorat à 23 ans. Après un bref passage dans la magistrature, il mène une carrière universitaire rapide et devint, à 29 ans, le plus jeune professeur de droit d’Allemagne à l’université de Rostock. Il deviendra également le plus jeune doyen d’université dès 1936.
Son parcours durant le nazisme
S’il n’a jamais été membre du NSDAP, des SS, ni des SA, Hallstein a appartenu à plusieurs organisations professionnelles placées sous le contrôle du régime national-socialiste, comme la Nationalsozialistischer Rechtswahrerbund (association des juristes nazis), la Nationalsozialistische Volkswohlfahrt (œuvre d’assistance du parti), la NS-Luftschutzbund (défense antiaérienne) et la Nationalsozialistischer Deutscher Dozentenbund (ligue des enseignants nazis). Ces organisations étaient intégrées dans l’appareil du régime et, pour certaines, réservées aux membres du parti ou étroitement contrôlées par lui, ce qui implique au minimum une forme d’adaptation opportuniste au système de sa part. Des critiques n’ont d’ailleurs pas manqué de relever son absence de rupture publique avec le régime avant 1945.
François Asselineau leader de l’UPR affirme même que Walter Hallstein a été chargé de préparer le projet de « nouvelle Europe », « Das neue Europa », que Hitler avait convenu avec Mussolini, lorsqu’il s’était rendu en 1938 en Italie.
Toujours est-il que Walter Hallstein a été mobilisé au sein de l’artillerie allemande dans le nord de la France en 1942, où il a servi avec le grade de premier lieutenant. Surtout, l’université de Francfort a proposé sa candidature au poste de Nationalsozialistischer Führungsoffizier (officier-instructeur en national-socialisme), chargé de l’encadrement idéologique, en 1944, preuve de ses accointances avec le régime.
Hallstein et les Etats-Unis
Le 26 juin 1944, lors de la bataille de Cherbourg, il fût fait prisonnier par les forces américaines puis transféré au camp de prisonniers de guerre de Como, dans l’État du Mississippi.
Après la guerre, il retourna en Allemagne en 1945, où il refusa une offre de Ludwig Erhard, ancien adjoint du général SS et secrétaire d’État à l’Économie du Reich, Otto Olhendorf, pour devenir vice-ministre au sein du ministère bavarois de l’Économie.
Hallstein retournera finalement aux Etats-unis de 1948 à 1949, où il passa une année comme professeur associé à l’université Georgetown, actuellement membre du Forum économique mondial. Hallstein co-fonda ensuite le comité national UNESCO, l’agence des Nations unies membre du FEM et fut son premier président de 1949 à 1950.
Le chef de la Diplomatie allemande sous Konrad Adenauer
En 19050, sur recommandation de Wilhelm Röpke, économiste allemand souvent considéré comme l’un des pères spirituels de l’économie sociale de marché, le chancelier Konrad Adenauer, qui participera à la réunion du groupe Bilderberg de 1955, fit venir Walter Hallstein à Bonn et le nomma en juin 1950 chef de la délégation allemande chargée des négociations du plan Schuman à Paris. Le plan Schuman est une initiative politique majeure présentée le 9 mai 1950 par Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères et qui fût l’un des premiers Européens impliqués dans le réseau Bilderberg. Il est considéré comme l’acte fondateur de la construction européenne. Son idée centrale est simple et radicale pour l’époque. Mettre en commun la production de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne de l’Ouest, ainsi que de tout autre pays européen qui souhaiterait s’y associer.
L’und es contributeurs de la CECA
Aux côtés de Jean Monnet, qui participera également à la réunion du groupe Bilderberg de 1954, Hallstein participa directement aux discussions qui aboutirent à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), dont le traité fondateur fut signé à Paris en 1951. Entre temps, il avait prit la tête de l’office des Affaires étrangères au sein de la chancellerie fédérale en août 1950, à la surprise générale. Il ne sera pas le seul membre de l’équipe d’Adenauer, a avoir été proche des nazis, puisqu’en 1952, Felix Von Eckardt, ancien de la propagande nazi et futur membre du groupe Bilderberg sera nommé porte-parole du gouvernement.
L’échec de la Communauté de Défense européenne
Devenu le principal architecte de la Diplomatie allemande, Hallstein a promu les objectifs ouest-allemands de regagner la souveraineté et de créer la Communauté européenne de défense (CED) ce qui déboucha sur la ratification du traité de Bonn, rétablissant la souveraineté de la République fédérale d’Allemagne et le traité de Paris signé par l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, les États-Unis, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas et qui, après ratification, devait établir la CED. Le refus du Parlement français fera finalement capoter ce traité, mais une solution impliquant l’Union de l’Europe occidentale (UEO) permis tout de même à l’Allemagne de l’Ouest de devenir membre de l’OTAN en 1955.
L’architecte de la CEE
Le 25 mars 1957, les six pays fondateurs signèrent les traités de Rome créant la CEE et l’Euratom. Les négociations ayant été déléguées à Walter Hallstein par le nouveau ministre des Affaires étrangères Heinrich von Brentano, cette signature constitua un succès politique majeur pour Hallstein, qui avait déjà présenté les traités au Bundestag le 21 mars 1957.
Le premier président de la CEE
Lors de la conférence des ministres des Affaires étrangères des 6 et 7 janvier 1958, Walter Hallstein fut désigné premier président de la Commission de la Communauté économique européenne, une nomination, intervenue à peine dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui constitua un symbole fort de la réhabilitation internationale de l’Allemagne de l’Ouest.
Son plan visant à imposer une Europe fédérale
En 1965, Walter Hallstein propose un plan visant à instaurer une Europe fédérale, fondée notamment sur le passage du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée. Il défend explicitement une Europe fédérale technocratique, gouvernée par une Commission forte, dotée de ressources propres, capable d’imposer ses choix aux États membres. François Asselineau y voit un lien avec le projet « nouvelle Europe » prévu par les nazis.
Cette vision n’est pas celle d’une Europe des nations, mais celle d’un super-État administratif, inspiré par une logique juridique autoritaire où le droit prime sur la souveraineté populaire. Ce n’est pas un hasard si cette conception entre en collision frontale avec celle du général Charles de Gaulle.
L’opposition du général de Gaulle
Ce projet se heurte en effet au veto immédiat de Charles de Gaulle lors des discussions sur la PAC, provoquant la politique française de la chaise vide. La France cessa de participer aux réunions du Conseil des ministres et du Comité des représentants permanents dès lors que de nouvelles décisions étaient sur l’agenda. La crise finira par conduire au départ de Hallstein, remplacé par le Belge, Jean Rey, et déboucha sur le compromis de Luxembourg qui mis fin à la crise institutionnelle en affirmant la nécessité d’une prise de décision à l’unanimité pour les votes importants.
Sources : Wikipedia, liste des participants aux réunions du groupe Bilderberg réalisée par le professeur Aleksander Zielinsky, de l’université de Fribourg.