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Ukraine : ces missiles et Kalachnikov détournés que les soldats ukrainiens ne reçoivent jamais

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Alors que l’aide militaire occidentale continue d’affluer vers Kiev, une partie des armes disparaît une fois franchie la frontière ukrainienne. Près de 500 000 armes portatives auraient été perdues ou volées depuis février 2022, selon les autorités ukrainiennes elles-mêmes. Un phénomène alimenté par la corruption et les réseaux criminels, au cœur d’une guerre qui charrie aussi son économie souterraine, rapporte l’hebdomadaire italien Panorama.

Deux mois après le début de l’invasion russe, les premiers missiles antichars NLAW fournis par le Royaume-Uni arrivaient sur le front de Kharkiv. Ces armes portables, cruciales pour freiner l’avancée des blindés russes, se sont rapidement retrouvées au centre de trafics. Panorama relate la scène d’un intermédiaire ukrainien, uniforme sombre et sourire équivoque, exhibant un missile flambant neuf sur la banquette arrière de sa voiture, proposé à la vente pour plusieurs dizaines de milliers d’euros. Personne ne saura jamais à quel acheteur il a fini par être cédé.

Comme dans tous les conflits prolongés, la guerre en Ukraine a vu émerger ses profiteurs. Mais l’ampleur du phénomène inquiète par sa dimension industrielle. Le ministère de l’Intérieur ukrainien reconnaît que, depuis février 2022, près d’un demi-million d’armes portatives ont disparu. Le ministère de la Défense évalue à 660 millions d’euros la valeur des armes et munitions jamais livrées ou arrivées défectueuses, un manque à gagner direct pour l’effort de guerre.

Le marché noir s’inscrit dans une continuité historique. De la dislocation de la Yougoslavie à l’Afghanistan, les conflits récents ont nourri des circuits parallèles d’armement. En Ukraine, la situation est rendue plus délicate encore par l’afflux massif d’armes occidentales. Si un centre de tri existe en Pologne pour enregistrer les livraisons, des failles organisationnelles persistent une fois le matériel entré sur le territoire ukrainien. La corruption locale et les réseaux criminels exploitent ces zones grises, observe le général italien à la retraite Giorgio Battisti.

Sur le terrain, l’armée ukrainienne s’épuise. Les combats restent acharnés, notamment autour de Pokrovsk, tandis que les difficultés de recrutement s’aggravent. Sur Telegram, l’ancien député Igor Lutsenko, engagé dès les premiers jours de l’invasion, dénonce un record de plus de 21 000 déserteurs recensés pour le seul mois d’octobre.

Dans ce contexte, la corruption ne se limite pas aux armes. Dans les colonnes de nos confrères italiens, Pavel, jeune mobilisé, affirme que des pots-de-vin permettent d’échapper aux tranchées, de ralentir une incorporation ou d’obtenir un poste à l’arrière. En août 2023, plusieurs commandants militaires régionaux ont été démis de leurs fonctions après la révélation d’un vaste réseau d’exemptions monnayées. Cette réalité nourrit un sentiment d’injustice largement répandu. L’idée que « les riches ne combattent pas » circule.

Les chiffres américains confirment ces inquiétudes. En 2024, un rapport de l’inspecteur général du Pentagone admettait avoir perdu la trace d’environ un milliard de dollars d’équipements envoyés en Ukraine. Parmi eux figurent des milliers de lance-missiles Stinger et Javelin, des lunettes de vision nocturne et des drones. Toutes ces armes n’ont pas nécessairement alimenté le marché noir, mais leur traçabilité demeure lacunaire.

Une étude publiée par une revue académique liée à l’université Harvard, membre du Forum économique mondial rappelle que l’Ukraine traîne une longue histoire de trafic d’armes. Lors de l’annexion de la Crimée en 2014, quelque 300 000 armes légères avaient déjà disparu. La même étude souligne toutefois que Moscou diffuse régulièrement de fausses informations sur la prolifération de ces armes à l’étranger afin d’inciter les alliés de l’OTAN à réduire leur soutien militaire à Kiev.

Les organisations internationales tirent à leur tour la sonnette d’alarme. En janvier, l’ONG genevoise GI-TOC a plaidé pour la création d’une base de données unique de l’OTAN afin de mieux recenser les armes fournies à l’Ukraine. Malgré les efforts de Kiev, les groupes criminels ont mis en place des routes et des chaînes d’approvisionnement de plus en plus structurées, d’une ampleur inédite par rapport aux précédents balkaniques ou afghans.

Le 18 octobre, le ministère de l’Intérieur ukrainien a détaillé l’ampleur des pertes : 491 000 armes portatives manquantes, dont une majorité de fusils d’assaut, mais aussi des mitrailleuses, des lance-grenades et des pistolets Makarov. La distribution massive d’armes à la population en 2022 a contribué à cette dispersion. En janvier 2025, une vaste opération nationale a conduit à des centaines de perquisitions, des dizaines d’interpellations et à la saisie d’arsenaux clandestins impressionnants.

Le trafic ne concerne pas uniquement les armes occidentales. Le service de renseignement ukrainien a intercepté des « trophées » russes capturés sur le front puis remis en vente, allant jusqu’à un canon antiaérien soviétique cédé pour quelques milliers d’euros. Les barèmes du marché noir donnent le vertige et illustrent la banalisation de ces détournements.

Enfin, la corruption touche aussi les marchés publics liés à la logistique militaire. Des générateurs jamais livrés, des contrats d’armement fantômes, ou encore le scandale des « œufs d’or », où le ministère de la Défense payait des denrées à prix doublé pour l’armée. Selon le Financial Times, certaines commandes d’armes réglées par Kiev ne se sont tout simplement jamais matérialisées, pour un préjudice total estimé à 660 millions d’euros. Pour une source militaire citée par Panorama, le cœur du problème réside moins dans les armes envoyées au front que dans l’argent qui irrigue l’effort de guerre, et qui continue d’attiser les convoitises.

Source :

Panorama via Courrier international.

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