You are currently viewing Turquie : la mort suspecte de Rojin Kabais, 21 ans, ravive la colère contre les violences faites aux femmes
Cette image a été générée à l'aide d'une intelligence artificielle. Elle ne constitue pas une photographie réelle de la scène ou de la personne représentée.

Turquie : la mort suspecte de Rojin Kabais, 21 ans, ravive la colère contre les violences faites aux femmes

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:MONDE
  • Commentaires de la publication :0 commentaire

Présentée d’abord comme un suicide, la mort de l’étudiante kurde Rojin Kabais bouleverse la Turquie. Les incohérences de l’enquête, la disparition d’éléments de preuve et la découverte d’ADN masculin relancent les soupçons de meurtre. Dans tout le pays, manifestations et veillées exigent justice et dénoncent l’impunité persistante des violences sexistes.

Son nom est devenu un cri. Rojin Kabais, 21 ans, étudiante à l’université de Van, a été retrouvée morte sur les rives du lac du même nom en septembre 2024. Les autorités ont aussitôt parlé de suicide, sans autre forme d’enquête. Un an plus tard, la révélation de nouveaux éléments — notamment la présence de traces d’ADN appartenant à deux hommes sur son corps — bouleverse la version officielle et ravive une colère sociale déjà à vif. « Ils ont vu que nous étions pauvres, que j’étais simple ouvrier, alors ils ont voulu classer l’affaire », accuse le père de la jeune femme dans les colonnes de Gazete Oksijen.

L’affaire est devenue emblématique d’un double mépris : celui réservé aux femmes victimes de violences, et celui subi par les minorités kurdes. Dès la disparition de Rojin, la famille avait signalé des zones d’ombre flagrantes : disparition des enregistrements de vidéosurveillance du campus, absence de témoins directs, pressions des autorités locales pour accepter la thèse du suicide. Selon Evrensel, le préfet et le recteur auraient même tenté de convaincre le père de ne pas demander de contre-autopsie. Mais la publication tardive du rapport médico-légal, révélant des traces biologiques masculines inexpliquées, a tout relancé. La justice n’exclut pas que ces ADN soient « sans lien avec le décès », mais pour l’opinion publique, la confiance est rompue.

« Dans les romans policiers, les meurtres maquillés en suicides sont monnaie courante ; en Turquie, c’est devenu une tragédie nationale », déplore le quotidien Birgün, qui rappelle la multiplication de cas similaires ces dernières années. De jeunes femmes retrouvées pendues, tombées de leur balcon ou présentées comme “suicidées”, souvent après avoir signalé des menaces. L’association We Will Stop Femicides Platform recense plus de 400 morts suspectes de femmes en 2024, dont près de la moitié classées sans suites.

Sur le plan politique, la controverse a pris une tournure brûlante. Le parti prokurde DEM a déposé une demande de commission d’enquête parlementaire sur les circonstances du décès. Elle a été sèchement rejetée par la majorité formée de l’AKP et du MHP. Le député ultranationaliste Adem Yildirim a fustigé une « victimisation des femmes », déclenchant une tempête sur les réseaux sociaux où des milliers d’internautes ont repris le mot-dièse #JusticePourRojinKabais.

Dans les rues, la colère s’exprime autrement. À Van, des taxis ont défilé le 19 octobre, pancartes au pare-brise, réclamant que « la vérité soit dite ». Le lendemain, les clubs de motards de Diyarbakir, ville d’origine de Rojin, ont organisé un cortège silencieux, tandis que des habitants faisaient clignoter les lumières de leurs immeubles en signe de solidarité. Sur les campus, les étudiantes brandissent des pancartes : « Et si Rojin était ta sœur ? ». Des manifestations de soutien ont éclaté dans plusieurs villes universitaires, de Mersin à Izmir.

Sous la pression, les autorités ont rouvert l’enquête. D’après Hürriyet, les enquêteurs examinent désormais les mails et le téléphone de la victime, notamment ses échanges avec un petit ami résidant en Chypre du Nord, piste évoquée tardivement. Mais pour beaucoup, ce rebondissement tardif illustre moins un sursaut judiciaire qu’une tentative d’apaisement politique. Car la mort de Rojin Kabais ne se résume plus à un fait divers : elle symbolise le combat des femmes turques contre une culture de l’impunité.

Depuis le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul en 2021, les féministes dénoncent un recul systémique des protections contre les violences de genre. « Chaque femme qui meurt dans l’indifférence rappelle que l’État a abdiqué sa responsabilité », écrit Birgün. Le nom de Rojin Kabais rejoint désormais ceux d’Emine Bulut, de Şule Çet et d’autres victimes devenues symboles de la lutte pour la justice. Une lutte qui, en Turquie, se mène de plus en plus dans la rue.

Sources :

Courrier international – La mort d’une étudiante agite la Turquie (20/10/2025) – https://www.courrierinternational.com/article/la-mort-d-une-etudiante-agite-la-turquie
Evrensel – Rojin Kabais’in ölümü intihar değil, cinayet olabilir (17/10/2025) – https://www.evrensel.net/haber/rojin-kabais-intihar-degil
Birgün – Kadın cinayetleri artık olağanlaştı (18/10/2025) – https://www.birgun.net/haber/kadin-cinayetleri-artik-olaganlasti-2025-10-18
Bianet – Commission parlementaire sur la mort de Rojin Kabais rejetée (19/10/2025) – https://bianet.org/english/women/rojin-kabais-case
Gazete Oksijen – Justice pour Rojin : colère dans le sud-est de la Turquie (20/10/2025) – https://www.oxijen.com.tr/haber/rojin-kabais-adalet-icin-cagrilar
Hürriyet – Rojin Kabais’in telefonu inceleniyor (20/10/2025) – https://www.hurriyet.com.tr/gundem/rojin-kabais-inceleme-2025-10-20

Laisser un commentaire