Après trois semaines de mobilisations, la justice marocaine a condamné dix-sept jeunes à des peines lourdes pour des faits liés aux heurts d’Aït Amira. Cette fermeté, destinée à « rétablir l’ordre », révèle aussi le fossé générationnel et politique que le mouvement GenZ 212 met à nu. En toile de fond, le pouvoir tente une réponse budgétaire sociale pour calmer la rue.
Un couperet est tombé à Agadir. Le 14 octobre, la cour d’appel a infligé des peines allant de trois à quinze ans de prison à dix-sept prévenus poursuivis pour « actes de vandalisme » et « troubles à l’ordre public » lors des événements de la nuit du 30 septembre au 1er octobre à Aït Amira, dans la province de Chtouka-Aït Baha. Les images diffusées par la presse marocaine, montrant des jeunes jetant des projectiles près d’un véhicule en flammes, ont donné la mesure d’une colère qui déborde, et d’un État décidé à frapper fort. Pour TelQuel, ces condamnations totalisent cent soixante-deux années de prison ferme, un quantum inédit qui résonne comme un avertissement adressé à toute une génération.
Le mouvement qui a mené à ces décisions est né en ligne et s’est cristallisé dans la rue : GenZ 212, référence au préfixe téléphonique du royaume, agrège des revendications sociales élémentaires — hôpitaux et écoles dignes, emplois, lutte contre la corruption — et un rejet du statu quo. De Casablanca à Marrakech en passant par Salé ou Agadir, des marches quotidiennes ont rythmé la rentrée, souvent pacifiques, parfois émaillées de heurts nocturnes. Le bilan humain reste disputé, mais l’ampleur de la répression ne fait guère de doute : tandis que des médias internationaux évoquent « plus de 400 » arrestations au début d’octobre, d’autres chiffrent à près de 2 000 le nombre total d’interpellations, mineurs compris, au fil des semaines. Dans ce climat, la lourdeur des peines prononcées à Agadir constitue un marqueur : la justice veut fixer un coût prohibitif à la transgression, même périphérique, aux abords de cortèges majoritairement non violents.
Cette stratégie répressive s’accompagne d’une bataille narrative. Des campagnes en ligne ciblant des opposants exilés ou d’anciens détenus politiques ont émergé, les accusant d’instrumentaliser la jeunesse. Les organisateurs se défendent d’un quelconque parrainage, revendiquant un fonctionnement horizontal, inspiré d’expériences étrangères récentes, du Kenya à l’Asie. Ce modèle sans chef, connecté et volatile, bouscule des appareils politiques peu habitués à une mobilisation sociale qui parle le langage de Discord et de TikTok, et fait de la transparence des services publics son cri de ralliement.
Face à la rue, l’exécutif brandit la piste budgétaire. Le 19 octobre, un conseil des ministres à Rabat a validé les grandes lignes d’un projet de loi de finances 2026 doté d’une enveloppe de 140 milliards de dirhams pour la santé et l’éducation et de plus de 27 000 créations de postes sur ces deux secteurs. À ces annonces sociales s’ajoutent des revalorisations d’aides familiales et des dispositifs de protection pour les enfants les plus vulnérables. Le signal est clair : tenter d’absorber l’onde de choc par l’investissement public et une redistribution ciblée, alors que l’économie se projette sur une trajectoire de croissance plus favorable l’an prochain. Reste l’équation politique : la confiance des 15–29 ans, génération numérique et massivement diplômée, ne se reconquiert pas à coups de tableurs.
La question de l’indépendance de la justice, ravivée par ces peines exemplaires, s’invite aussi dans le débat. Des observateurs pointent l’inflation des poursuites pour des contenus en ligne et le recours à des incriminations lourdes dans des dossiers où la frontière entre manifestant, casseur et simple passant se brouille, notamment lors des nuits d’affrontements. Dans les rues, les slogans réclament simultanément la libération des détenus, la sanction de la corruption et un recentrage budgétaire « des stades vers les hôpitaux ». Une feuille de route que le projet financier de 2026 prétend amorcer, sans dissiper la perception d’un décalage entre promesses et vécu quotidien.
Au final, l’« affaire d’Aït Amira » concentre l’essentiel du moment politique marocain : une jeunesse qui s’auto-organise et met la pression, un État qui réprime pour prévenir l’embrasement, puis desserre l’étau avec des annonces sociales substantielles. Le bras de fer ne se jouera pas seulement dans les tribunaux ni dans les colonnes budgétaires, mais dans la capacité des institutions à prouver, vite et concrètement, que l’école, l’hôpital et l’emploi ne sont plus des mirages. Car si la peur peut étouffer un temps les cortèges, elle ne suffit jamais à éteindre une génération.
Sources :
Courrier international – Protestation. Au Maroc, le coup de massue judiciaire contre les jeunes manifestants de la Gen Z (20/10/2025) – https://www.courrierinternational.com/article/protestation-au-maroc-le-coup-de-massue-judiciaire-contre-les-jeunes-manifestants-de-la-gen-z_236508
TelQuel – Agadir : de 3 à 15 ans de prison pour 17 accusés impliqués dans les émeutes d’Aït Amira (15/10/2025) – https://mobile.telquel.ma/instant-t/2025/10/15/agadir-de-3-a-15-ans-de-prison-pour-17-accuses-impliques-dans-les-emeutes-dait-amira_1955848/
Le Monde Afrique (édition anglophone) – Morocco cracks down on Gen Z (18/10/2025) – https://www.lemonde.fr/en/le-monde-africa/article/2025/10/18/morocco-cracks-down-on-gen-z_6746543_124.html
Reuters – Morocco youth protests spread and turn deadly, two killed (01/10/2025) – https://www.reuters.com/world/africa/moroccos-youth-police-clash-fifth-night-protests-demanding-education-health-care-2025-10-01/
Reuters – Morocco to boost health, education spending to $15 billion in 2026 (19/10/2025) – https://www.reuters.com/world/africa/morocco-boost-health-education-spending-15-bln-2026-2025-10-19/
Yabiladi – PLF 2026 Maroc : Le gouvernement tente de répondre à la GenZ et au roi Mohammed VI (19/10/2025) – https://www.yabiladi.com/articles/details/179141/2026-maroc-gouvernement-tente-repondre.html
El Confidencial – Explota la Generación Z en Marruecos… (04/10/2025) – https://www.elconfidencial.com/mundo/2025-10-04/genz212-marruecos-protestas-corrupcion-1hms_4222022/
The New Arab – Morocco jails 17 for violence on fringes of youth protests (16/10/2025) – https://www.newarab.com/news/morocco-jails-17-violence-fringes-youth-protests