Au lendemain du vol spectaculaire de bijoux de la Couronne dans la galerie d’Apollon, Alain Bauer, criminologue et ancien grand maitre du Grand Orient de France, a livré hier sur LCI une analyse minutieuse de l’opération. En sept minutes, des malfaiteurs ont exploité l’absence de protection périphérique, la saturation des équipes et des vitrines censées être inviolables. Récit et décryptage d’un casse qui interroge la sécurité du premier musée du monde.
La scène, presque irréelle, dit tout d’un modus operandi rôdé : un véhicule élévateur se gare côté Seine, une fenêtre vieillie cède, la galerie d’Apollon s’ouvre, deux vitrines « haute sécurité » sont entamées à la disqueuse, huit pièces d’un patrimoine inestimable disparaissent. « Sept minutes », insiste Alain Bauer sur LCI, rappelant le tempo d’un smash and grab à la bijouterie, transposé ici au cœur du Louvre. Le choix de l’horaire n’a rien d’un hasard : autour de 9 h 30, lorsque l’affluence commence, les équipes se concentrent sur la protection du public plutôt que sur la surveillance rapprochée des œuvres, explique-t-il. La règle tacite des musées — d’abord les personnes, ensuite les objets — a été exploitée avec un sang-froid clinique.
Pour le criminologue, la première défaillance tient à l’« absence de protection périphérique et périmétrique ». En clair, empêcher de se garer au pied des façades, poser des obstacles physiques, contrôler « loin et tôt » toute tentative d’approche. Rien de tout cela n’a ralenti les assaillants. La deuxième faiblesse relève des vitrines. Censées correspondre au meilleur standard au moment de leur acquisition, elles ont cédé trop vite. Deux hypothèses, avance Bauer : soit les vitrines n’étaient pas conformes aux spécifications promises, soit les outils employés ont atteint une efficacité inédite. Dans les deux cas, l’alarme — qui aurait dû se déclencher à la première attaque de vitre puis à l’ouverture des caissons — n’a pas permis une intervention dans le court laps de temps utile.
Troisième angle mort : la chaîne de vidéosurveillance éclatée entre la préfecture de police (circulation et tunnel), la Ville de Paris (espace public) et l’établissement public du Louvre (espaces privatifs). Sans poste de commandement central agrégant toutes les images, « elles ne servent à rien », tranche Bauer. De fait, l’intervention humaine nécessaire après le signalement a pris plus de temps que le cambriolage lui-même. Dans ce type d’opération, rappelle-t-il, chaque minute arrachée aux voleurs compte ; faute d’avoir « ralenti la progression » — grilles, vitrages supplémentaires, sas — l’issue devenait probable.
Cette attaque s’inscrit, selon lui, dans une histoire longue. La même galerie d’Apollon fut déjà la scène du vol de l’épée de Charles X, dans la nuit du 15 au 16 décembre 1976, jamais retrouvée depuis. Autrement dit, le précédent existait, et il avait valeur d’avertissement. Plus largement, l’expert dresse un constat sévère : la sécurité muséale française demeure hétérogène, tributaire de choix budgétaires et d’arbitrages techniques qui privilégient parfois l’événementiel au détriment des collections permanentes. Les critiques publiques publiées ces dernières heures par plusieurs médias, s’appuyant sur un rapport récent de la Cour des comptes, vont d’ailleurs dans ce sens, pointant un « retard persistant » et des équipements incomplets.
Reste l’après-casse. Pour Bauer, « le plus probable, c’est qu’on arrête les voleurs et qu’on ne retrouve pas les pièces ». Le destin de ce type de butin obéit à une mécanique connue : trois débouchés dominent. D’abord la commande pour collectionneur, où la pièce reste intacte et s’enfouit dans une invisibilité confortable. Ensuite, la « casse » : démontage, fonte des montures, retaillage des gemmes pour brouiller leur traçabilité. Enfin, des filières idéologiques ou nationalistes lorsqu’il s’agit d’objets perçus comme “rapatriables” — un scénario évoqué pour d’autres vols, même si rien ne l’atteste ici. Dans ce contexte, la fenêtre d’opportunité pour récupérer les bijoux se compte en heures, tant le risque de transformation est élevé une fois la chaleur retombée, estime le criminologue.
Bauer plaide pour un changement de paradigme : ne plus penser la sécurité uniquement dans l’enceinte, mais à l’échelle du périmètre ; accepter des mesures visibles si elles évitent l’irréparable ; coordonner les flux d’images et de décisions ; et, surtout, allonger le temps d’effraction pour rendre l’opération matériellement impraticable. Quinze minutes, dit-il, et « plus personne n’y va ». À défaut, le « plus grand musée du monde » restera trop vulnérable aux attaques qui, comme celle-ci, prospèrent sur les angles morts d’un système saturé, estime-t-il, même si un grand plan de rénovation des systèmes de sécurité était prévu avant même l’incident.
Sources :
LCI / TF1 Info – Alain Bauer invité de Darius Rochebin (20/10/2025) – https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/le-musee-du-louvre-restera-ferme-apres-un-cambriolage-les-malfaiteurs-en-fuite-2401439.html
AP News – “Louvre remains closed a day after daring theft of Napoleonic jewels” (21/10/2025) – https://apnews.com/article/2cc473fc178ae6a3513daa0c71b43409
The Guardian – “How the Louvre museum robbery happened in video, photographs and maps” (20/10/2025) – https://www.theguardian.com/world/2025/oct/20/louvre-museum-robbery-thieves-stolen-jewellery
Le Monde – “Le Louvre victime d’un spectaculaire cambriolage, huit bijoux d’une ‘valeur inestimable’ dérobés” (19/10/2025, maj 20/10/2025) – https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/10/19/le-louvre-victime-d-un-braquage-et-ferme-pour-la-journee-des-bijoux-d-une-valeur-inestimable-derobes_6648121_3225.html
Le Monde – “Musée du Louvre : la protection des œuvres défaillante, selon la Cour des comptes” (20/10/2025) – https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/10/20/musee-du-louvre-la-protection-des-uvres-defaillante-selon-la-cour-des-comptes_6648236_3224.html
TF1 Info – “De la Joconde à l’épée de Charles X, le Louvre déjà victime de plusieurs vols” (20/10/2025) – https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/histoire-de-la-joconde-a-l-epee-de-charles-x-le-louvre-a-deja-ete-victime-de-plusieurs-vols-braquages-cambriolages-2401486.html