Le 7 mars 2025 marque un tournant tragique en Syrie avec des affrontements sanglants entre les nouvelles autorités de Damas et des insurgés dans les provinces de Lattaquié et Tartous. Cette flambée de violence met en péril la fragile stabilité du pays et accentue les tensions communautaires. Alors que le président de transition Ahmed Al-Charaa prône l’apaisement, semble perdre le contrôle d’une partie de son armée et de ses forces de sécurité et les massacres de civils alaouites soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir de la transition politique.
En l’espace de quarante-huit heures, la côte syrienne s’est embrasée. Le 7 mars 2025 restera marqué comme la pire journée en Syrie depuis la chute du régime de Bachar al-Assad. Selon les dernières estimations, près de 300 civils ont été massacrés dans différentes régions du pays, notamment à al-Muktariyya et Lattaquié
L’attaque initiale a eu lieu dans le village de Beit Ana, au sud de Jablé, où une embuscade contre une patrouille de la sécurité générale a coûté la vie à treize soldats du nouveau régime. Rapidement, les combats se sont propagés à d’autres villes et villages de la région, menant à des affrontements violents entre les forces gouvernementales et les partisans de l’ancien régime Assad.
Face à cette menace grandissante, les autorités ont déployé plusieurs milliers de soldats, appuyés par des blindés et des drones. L’insurrection a pris une tournure plus inquiétante avec la création, le 6 mars, du Conseil militaire pour la libération de la Syrie, dirigé par le brigadier Ghaith Dalla, un ancien officier de la 4e division de l’armée syrienne, proche de l’Iran et du Hezbollah.
Un massacre de civils qui attise les tensions
Le conflit a dégénéré en exécutions sommaires de civils. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), 136 civils ont été tués, dont treize femmes et cinq enfants. Plus d’une cinquantaine d’hommes alaouites ont été exécutés dans les villages de Moukhtareya, Sheer et Haffah. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des scènes d’humiliation et des actes de brutalité commis par des soldats en uniforme, attisant la colère des communautés locales.
Le gouvernement provisoire a promis d’ouvrir une enquête sur ces exactions. « Les auteurs de ces actes seront poursuivis », a déclaré le ministère de l’Intérieur. Néanmoins, la population de Lattaquié est en état de choc, dénonçant une « vengeance ethnique » orchestrée par des factions armées venues d’Idlib.
Les enjeux pour le pouvoir d’Ahmed Al-Charaa
L’ampleur de cette crise remet en question la capacité d’Ahmed Al-Charaa à assurer la stabilité du pays. Depuis la chute du régime Assad en décembre 2024, il tente de composer avec une mosaïque de forces militaires et politiques, mais cette insurrection met en évidence les failles du nouveau pouvoir.
Certains experts pointent du doigt la difficulté de contrôler l’ensemble des forces armées, d’autant plus que certaines factions extrémistes continuent d’échapper à toute autorité.
Plusieurs sources attestent que des membres des nouvelles forces de sécurité syriennes sont impliqués dans ces massacres. Il s’agit d’anciens combattants de groupes radicaux comme Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui ont rejoint l’armée officielle après la transition politique. Malgré les ordres du gouvernement, ces hommes ont décidé d’agir de leur propre chef, violant les consignes officielles.
En parallèle, des jihadistes syriens et étrangers, notamment des combattants ouïghours et kirghizes, sont suspectés d’avoir participé aux massacres autour de Lattaquié. Déjà pointés du doigt pour des exactions contre des fermiers à Jableh il y a plusieurs semaines, ces groupes auraient profité de la confusion générale pour mener des attaques d’une brutalité extrême. Plusieurs vidéos vérifiées attestent de leur présence sur les lieux des massacres, confirmant leur implication directe.
L’ombre persistante de l’ancienne Armée Nationale Syrienne (ANS)
L’Armée Nationale Syrienne (ANS), une faction soutenue par la Turquie depuis 2016, est également impliquée dans ces violences. Longtemps accusée de banditisme, d’extorsion et de massacres, l’ANS a récemment été intégrée en partie dans la nouvelle armée syrienne. Cependant, une fraction de ses combattants a refusé d’obéir aux nouvelles autorités et a rejoint la région de Lattaquié dans la nuit du 6 au 7 mars.
Un appel à l’apaisement, mais un pouvoir sur la sellette
Dans un discours prononcé le 8 mars, Ahmed Al-Charaa a tenté de calmer les tensions, appelant à la retenue et promettant des poursuites contre les coupables des exactions. « Nous devons protéger notre peuple et réparer ce pays que vous avez détruit », a-t-il déclaré.
L’implication de groupes jihadistes étrangers, la rébellion d’anciens cadres de l’ANS et l’incapacité du gouvernement à contrôler ses propres forces de sécurité montrent que la paix en Syrie est encore loin d’être acquise. Cette crise risque de fragiliser davantage le gouvernement provisoire, alors qu’il doit déjà composer avec des tensions dans le sud avec les Druzes et dans le nord-est avec les Kurdes.
Sources : Le Monde, Cédric Labrousse.