Depuis début novembre 2025, un oukase signé par Vladimir Poutine impose à tout homme étranger souhaitant vivre en Russie de signer un contrat militaire. Une mesure qui transforme une pratique officieuse en règle étatique, au cœur d’une stratégie mêlant pénurie de soldats et durcissement migratoire. Cette décision marque un tournant pour des milliers de résidents étrangers désormais sommés de « choisir ».
Depuis la publication de l’oukase n° 821 le 5 novembre 2025, la législation russe connaît un virage radical. Désormais, tout homme étranger âgé de 18 à 65 ans devra s’engager dans l’armée s’il souhaite obtenir un permis de séjour ou prétendre à la naturalisation. Officiellement, le contrat exigé court sur un an. Dans la réalité, il lie le soldat jusqu’à la fin de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine, une échéance indéterminée qui transforme cette obligation administrative en engagement sans horizon clair.
Si cette exigence entre aujourd’hui dans le droit russe, elle prolonge une pratique officieuse apparue dès les premiers mois de la guerre. Des migrants originaires du Caucase ou d’Asie centrale avaient rapporté avoir été poussés à s’enrôler, sous la menace d’expulsion ou de placement en centre de rétention. Certains témoignages, relayés par Le Monde, évoquent des travailleurs de la restauration ou des chauffeurs de taxi confrontés à l’absence de papiers à jour et vulnérables aux pressions des autorités. Dans certains cas, la proposition n’en était pas une : servir ou partir.
Avec l’oukase 821, cette logique est désormais étendue à toute personne vivant en Russie et souhaitant s’y établir durablement. Pour déposer une demande de permis de séjour ou de naturalisation, le candidat devra présenter soit un contrat militaire d’un an, soit un certificat de démobilisation, soit un certificat médical d’inaptitude. L’exemple d’un Français marié à une Russe illustre parfaitement ce basculement : sans engagement dans l’armée, aucun titre de séjour permanent ne pourra lui être accordé.
Officiellement, Vladimir Poutine présente cette mesure comme une procédure administrative adaptée à l’état de guerre. Officieusement, elle répond à un déficit chronique de combattants. En février 2025, le Center for Strategic and International Studies estimait les pertes russes depuis le début de l’invasion à un million de victimes, dont 250 000 morts, rappelait le New York Times. Face à cette saignée, Moscou cherche des recrues où elle peut. Le nombre d’étrangers enrôlés par pression ou opportunité oscillerait déjà entre 17 000 et 20 000 hommes, toutes nationalités confondues, même si aucune statistique officielle n’est publiée. Les chiffres pourraient grimper à plusieurs centaines de milliers en intégrant les citoyens des anciennes Républiques soviétiques, souligne à nouveau Le Monde.
La lettre de la loi tait un élément crucial : le contrat d’un an ne garantit pas un retour simple à son terme. Une fois incorporé, le soldat est maintenu tant que le conflit se poursuit. Cette contrainte s’inscrit dans une stratégie déjà amorcée l’an dernier, lorsqu’un précédent oukase promettait la nationalité russe à tout homme acceptant de servir. Ce qui relevait alors de l’incitation devient désormais une obligation.
Cette politique militaire se double d’un durcissement migratoire marqué. En 2024, plus de 80 000 personnes migrantes ont été expulsées pour non-respect des règles de séjour, selon l’agence Tass, soit presque deux fois plus qu’en 2023. Dans un tel climat, le contrat militaire fonctionne comme une alternative sous tension : accepter l’uniforme ou quitter le pays. Cet oukase cristallise ainsi une stratégie où contrôle migratoire et besoins militaires se confondent, redéfinissant la place de l’étranger dans la Russie de guerre.
Sources :
L’Express, Le Point, Le Monde, New York Times , Agence Tass