Dans un retournement inattendu, l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne se dit prête à suspendre la réforme des retraites qu’elle avait portée en 2023. Une main tendue au Parti socialiste et un signe d’ouverture destiné à éviter une nouvelle crise politique, après la démission de Sébastien Lecornu et la paralysie institutionnelle qui menace l’exécutif.
C’est un revirement politique que peu auraient anticipé. Deux ans après avoir fait adopter la réforme des retraites au forceps, au prix d’une impopularité record et d’un recours au 49.3, Élisabeth Borne s’est dite prête à en suspendre l’application « si c’est la condition de la stabilité du pays ». Une déclaration faite ce mardi 7 octobre dans les colonnes du Parisien, alors que la France s’enfonce dans une crise politique inédite après la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, à peine nommé.
« Dans le contexte actuel, pour avancer, il faut savoir écouter et bouger », a confié l’ancienne cheffe du gouvernement, soulignant que la réforme de 2023 « ne devait pas devenir un totem ». Ce geste, tardif mais symbolique, s’adresse d’abord à la gauche, et plus particulièrement au Parti socialiste, dans l’espoir d’un compromis autour du budget et d’un maintien de la stabilité parlementaire.
Un symbole du macronisme remis en cause
La réforme des retraites, repoussant l’âge légal de départ à 64 ans, avait cristallisé les tensions sociales du premier quinquennat Macron. Portée par Élisabeth Borne, elle reste, deux ans après, le marqueur central du macronisme, celui d’un pouvoir réformateur assumé contre vents et marées. En évoquant aujourd’hui une possible suspension, l’ancienne Première ministre reconnaît implicitement l’impasse politique dans laquelle cette loi a contribué à placer le pays.
« De tout temps, les retraites ont été un sujet épidermique en France », concède-t-elle, rappelant que l’objectif de 2023 était de « préserver notre modèle social » tout en proposant des mesures de « progrès » pour les carrières longues, la pénibilité et les femmes. Mais dans une France fracturée, où le risque de dissolution de l’Assemblée nationale revient comme une menace récurrente, Borne plaide désormais pour « éviter l’aquaplaning » institutionnel.
Le calcul d’un apaisement politique
Cette ouverture s’inscrit dans un contexte de grande fragilité gouvernementale. Selon Le Parisien, Sébastien Lecornu aurait demandé à Bercy d’évaluer les conséquences économiques d’une suspension de la réforme, signe que l’hypothèse est désormais sérieusement étudiée. Le chef de Place publique, Raphaël Glucksmann, y voit « une avancée », tout en notant que « tout reste encore flou ».
Élisabeth Borne, elle, tente de repositionner son image : celle d’une technocrate rigoureuse devenue pragmatique, capable de « bouger » pour éviter la rupture. « Aucune démocratie ne peut fonctionner si chacun ne fait pas l’effort d’écouter l’autre », a-t-elle insisté.
Mais la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale s’écarte d’une hypothèse de coalition de gauche. Elle plaide au contraire pour la nomination à Matignon d’une personnalité indépendante, issue de la société civile : « Il faudrait quelqu’un sans appartenance partisane, sans ambition présidentielle, qui ne soit pas catalogué dans un camp. Cela permettrait d’apaiser le pays. »
Un geste politique, mais aussi un signal à Emmanuel Macron
Ce virage d’Élisabeth Borne n’est pas seulement tactique. Il traduit la fin d’un cycle. Longtemps fidèle exécutante de la ligne présidentielle, elle apparaît désormais comme la voix d’un centre en quête de rééquilibrage, consciente de la crise de légitimité du macronisme. En se disant prête à sacrifier sa réforme phare, elle envoie un message à Emmanuel Macron : celui de la nécessité d’un tournant, fût-il symbolique, pour préserver la continuité du pouvoir.
Reste à savoir si cette main tendue suffira à désamorcer la crise, ou si elle arrive trop tard. L’histoire retiendra peut-être qu’après avoir incarné la fermeté technocratique, Élisabeth Borne aura fini par défendre la souplesse politique — au nom, dit-elle, de la stabilité nationale.
Sources :
Le Parisien – Élisabeth Borne prête à suspendre la réforme des retraites pour “la stabilité du pays” – 07/10/2025 – leparisien.fr
France Info – Crise politique : Borne évoque un geste envers le Parti socialiste – 07/10/2025
Le Monde – Réforme des retraites : l’hypothèse d’une suspension étudiée par Bercy – 07/10/2025
BFMTV – Raphaël Glucksmann : “Des avancées sur la question des retraites” – 07/10/2025