La France connaît un climat politique difficile. Alors que les extrêmes s’affrontent dans les urnes, des rappeurs ont décidé de soutenir l’actuel barrage républicain qui se place contre la percée électorale du Rassemblement National. Un morceau qui se veut dénonciateur et militant, alors que le rap français a connu, par le passé, des sons encore plus dissidents qui ont suscité tout autant la polémique.
Le Rassemblement National fait office de favori pour remporter les élections législatives surprises de 2024. Avec la possibilité d’être représenté en majorité à l’Assemblée pour la première fois de son histoire, le RN se heurte une nouvelle fois au Front Républicain, à un barrage dans les urnes entre Renaissance et le Nouveau Front Populaire, qui s’accordent à battre quoiqu’il en coûte le Parti conservateur.
Art décrié par les élites, populaire tant que controversé, le rap fait son entrée dans cette campagne électorale. Dans le but de dénoncer avec un style très explicite dans les paroles, un morceau de rap français est sorti ce lundi 1er juillet à 23h45. Un son militant, qui fait du bruit à s’en faire entendre jusque dans les bureaux du RN, cible exclusive des 9 minutes 43 du nouveau morceau intitulé “No Pasaran”.
Un son anti-RN
Hymne du barrage républicain qui compte aujourd’hui sur les abstentionnistes et autres déconnectés de la politique pour empêcher le RN d’accéder aux sièges de l’Assemblée, No Pasaran réuni 20 rappeurs issus de toutes villes et toute époque du rap français pour attaquer frontalement le Parti politique de Jordan Bardella. Un son qui dure près de 10 minutes, et dont les fonds générés seront reversés à la Fondation de l’Abbé Pierre. Sur une production de DJ Kore, les 20 artistes y vont de leur couplet pour exprimer leur opinion. Sofiane intronise le morceau avec des punchlines bien directes “fuck le rassemblement” et “Jordan t’es mort”, en référence au slogan adressé par le combattant Cédric Doumbé à son ancien adversaire Jordan Zebo. Zola enchaîne en pointant du doigt le contrôle au faciès, avant de proposer “un octogone à Bardella”. Le jeune driller Kerchak poursuit en expliquant vouloir “voter à gauche mais pas que pour la léga’ du canna’”. RK fait ensuite référence à son passé d’abstentionniste, et indique qu’il compte changer en votant. Après les couplets de Soso Maness, Zed, UZI, ASHE 22, Nahir, ISK, Mac Tyer, ou encore Alkpote, c’est à Cokein d’aborder une thématique plus glissante. En effet, ce dernier s’exclame “espèce de franc-maçon, tu te nourris du sang que tu consommes, dans leur ambassade, c’est le sheytan qui les rançonne”. Un pic mêlant théories d’adrénochomes et haine de cette société discrète, alors que les loges Franc-Maçonnes avaient aussi tenu à lutter contre le RN au nom de l’humanisme et du vivre-ensemble. Les rappeurs plus anciens comme Akhenaton d’IAM, Pit Baccardi et Seth Gueko enchaînent avec des couplets plus traditionnels sans pour autant être plus mesurés dans leur propos.
De vives réactions
Marine Le Pen et Jordan Bardella n’ont pas tardé pour répondre aux attaques des 20 rappeurs. La fille de Jean-Marie Le Pen espère que “le parquet va se saisir de cette abjection”. Ell dénonce aussi un “appel à la violence”, alors que Jordan Bardella considère les punchlines de ce morceau de rap comme “des appels au meurtre, de la misogyne violente, de l’antisémitisme crasse et du complotisme”, en partageant notamment le screenshot du pic envoyé sur les Franc-Maçons, lui dont les liens avec les loges françaises sont suspectées, bien que pas encore prouvées.
L’Imam Chalghoumi, ostracisé par une bonne partie des musulmans de France, va porter plainte contre No Pasaran, dans lequel est lancé « Nique l’imam Chalghoumi et ceux qui suivent le Sheitan à tout prix« . Une punchline ciblée du rappeur Alkpote, qui explique ensuite qu’ils veulent “nous injecter une puce dans le sang”, sur une image de Bill Gates en fond dans le clip. Alkpote s’est aussi fait épingler pour des propos jugés antisémites et homophobes qui ressortent sur la toile, peu après la polémique de No Pasaran.
No Pasaran : contre-productif ?
Le titre de ce morceau fait référence à un slogan révolutionnaire datant de la lutte contre l’Espagne franquiste dans les années 1930. No Pasaran signifie “Ils ne passeront pas”. Un slogan antifasciste, qui se veut également raciste, pour attaquer les soldats africains alliés aux forces de Franco.
Un son de rap que certains peuvent considérer comme contre-productif à l’image du rappeur Kaotik747. Ce dernier dénonce une action contre-productive des 20 rappeurs : “Ils ont vendu la haine et la vulgarité. Les propos tenus dans cette chanson vont continuer de faire grandir ce sentiment de révolte. Au lieu de créer des ponts entre nous tous, cela ne cesse de créer des tranchées, ce qui divise le pays”.
Le rap engagé ressuscité ?
Soso Maness, le Marseillais commence son couplet en rendant hommage aux anciens rappeurs engagés : “Y a eu Kery (James) avant moi, et y a eu Rockin Squat avant lui, après moi qui y viendra, après moi c’est pas fini”. Une volonté de transmettre l’exercice de rapper pour dénoncer. Bien avant No Pasaran, plusieurs morceaux ont fait parler d’eux pour leurs textes très engagés. Même si le rap engagé existe toujours, parler de politique et poser un problème en utilisant sa liberté d’expression nous rappelle forcément plusieurs sons, devenus des classiques dans l’histoire du rap français pour leur contexte. Outre les morceaux “Sacrifice de poulets” du Ministère Amer, “Nique la Police” de NTM, ou “Politiquement incorrect” d’El Matador, deux sons ont été les vrais précurseurs de “No Pasaran”. Tout d’abord, on doit se rappeler “11’30 contre les lois racistes”. Sorti en 1997 pour venir contester le projet de loi Debré, qui visait à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Les fonds avaient été reversés au Mouvement de l’immigration et des banlieues et non à SOS Racisme, jugé par les rappeurs comme trop complaisant avec les hautes instances. 19 artistes avaient posé leur couplet sur cette chanson. On note dans ce collectif les présences de Jean-François Richet, de Maître Madj et de Rockin’ Squat d’Assassin, Akhenaton d’IAM, présent dans No Pasaran mais aussi Rootsneg en créole, Djoloff en wolof, ou encore Passi du Ministère Amer. Le morceau débute sur une intro parlée de Jean-François Richet et Madj, pour planter le décor avant une grosse dizaine de minutes de rap conscient : “Lois Defferre, lois Jox, lois Pasqua et Debré, une seule logique : la chasse à l’immigré. Et n’oublie pas tous les décrets et circulaires. Nous ne pardonnerons jamais la barbarie de leurs lois inhumaines. Un état raciste ne peut que créer des lois racistes. Et au fait, qu’est-ce que t’en penses toi ?”.
En 1999, un second son paraît contre les atteintes à la liberté d’expression des artistes, intitulé : “16’30 contre la censure”. Au casting, Akhenaton une nouvelle fois, Driver qui depuis est un acteur majeur de la scène rap en France, la Fonky Family, 2Neg ou encore Abou.
Parmi les rappeurs conscients, on peut également citer Kery James, suivi de Médine, ou Youssoupha. Des rappeurs engagés aux carrières honorables, dans une scène rap où les plumes et les mots sont souvent mis de côtés par les courants musicaux émergents comme la Drill et la Trap, dans lesquels la musicalité prime sur les textes. No Pasaran, sorti spontanément en réaction à l’actualité politique, fait polémique et vient appuyer le barrage républicain. Le rap conscient revient à la mode le temps d’une semaine marquée par les élections législatives, alors que le RN a condamné ce morceau. La liberté d’expression a-t-elle des limites ? Un débat auquel nous vous laisserons réfléchir et sur lequel vous vous ferez votre propre avis. Comme le disait IAM en 2003 dans le son “Lâches” : “L’esprit est la chose la plus dramatique à perdre, car la valeur d’un homme se mesure au poids de ses pensées”.