Née en 1932 sous l’impulsion du régime mussolinien, la Mostra de Venise s’impose aujourd’hui comme un baromètre des sensibilités contemporaines. En 2025, la compétition est composée d’une série de films où les personnages masculins, tour à tour brisés, toxiques ou désorientés, alors que la transidentité ou le non binarisme sont vantés à Cannes ou à l’Eurovision.
Créée au cœur des années noires de l’Europe fasciste, la Mostra de Venise fut à l’origine un outil de prestige pour le régime mussolinien, soucieux d’affirmer la grandeur italienne à travers le cinéma. Près d’un siècle plus tard, la première semaine de l’édition 2025 dessine un paradoxe frappant : sur les écrans du Lido, la masculinité n’est plus triomphante, mais en lambeaux.
Les films en compétition témoignent d’un même vertige identitaire. Dans The Smashing Machine, Benny Safdie choisit Dwayne Johnson pour incarner Mark Kerr, légende des arts martiaux mixtes en proie à l’addiction et aux tensions conjugales. Sous la force brute affleure une fragilité que la caméra s’attache à mettre à nu. Guillermo del Toro, avec son Frankenstein interprété par Oscar Isaac et Jacob Elordi, propose une relecture élégante du mythe : loin du savant démiurge conquérant, Victor Frankenstein s’interroge sur le vide existentiel que recouvre sa quête de toute-puissance.
La liste des figures masculines ébranlées s’allonge avec A pied d’œuvre de Valérie Donzelli, où Bastien Bouillon interprète un photographe qui renonce à son confort matériel pour la précarité d’une vie d’écrivain. Ou encore avec Jay Kelly, la nouvelle œuvre de Noah Baumbach, qui dépeint George Clooney en acteur vidé de tout désir, image miroir d’un patriarcat épuisé. Paolo Sorrentino, lui, met en scène un président désabusé dans La Grazia, tableau doux-amer d’une autorité politique vacillante.
Mais c’est sans doute Park Chan-wook qui va le plus loin dans Aucun autre choix. À travers le personnage de Yoo Man-soo (Lee Byung-hun), licencié après vingt-cinq ans de loyaux services et sombrant dans une spirale de violence, le cinéaste sud-coréen radiographie une masculinité toxique, même si rien n’est plus toxique que l’absence de masculinité chez un homme. Addictions, mensonges, refus d’exprimer ses émotions : un autoportrait impitoyable du patriarcat en crise, encore une fois.
À cette fresque de la virilité blessée répond Le Mage du Kremlin d’Olivier Assayas, inspiré du roman de Giuliano da Empoli. Paul Dano y incarne Vadim Baranov, ancien conseiller de Vladimir Poutine, figure ambiguë dont le parcours retrace les dérives d’un pouvoir masculin autoritaire. Dans Bugonia, Yorgos Lanthimos confie à Jesse Plemons le rôle d’un tortionnaire illuminé persuadé d’avoir enlevé une extraterrestre (Emma Stone). Ici encore, la virilité s’exprime dans la violence et la paranoïa.
Mona Fastvold redonne une place centrale au féminin avec Le Testament d’Ann Lee, portrait de la fondatrice du mouvement des shakers, communauté religieuse née au XVIIIᵉ siècle en Angleterre. Ils s’implantèrent aux États-Unis en prônant le célibat, l’égalité des sexes et la vie communautaire. Réputés pour leur artisanat et leur mobilier épuré, ils ont presque disparu faute de descendance, mais leur héritage spirituel et culturel reste majeur dans l’histoire américaine. À travers chants, transes et extases collectives, le film propose une autre vision du rapport au corps et à la foi, mais encore une fois un récit qui s’attaque au patriarcat.
La programmation de la Mostra 2025 illustre un retournement saisissant. Là où la propagande fasciste exaltait autrefois la virilité conquérante et l’ordre patriarcal, les cinéastes contemporains déploient un récit de déclin, d’égarement et de remise en cause. Ce n’est plus le mythe de l’homme fort qui triomphe à Venise, mais la fragilité d’identités masculines fissurées, témoignage du dégout que semble suscité la masculinité et l’hétérosexualité dans certains milieux culturels. « Comme l’oiseau, l’humanité possède deux ailes — l’une mâle, l’autre femelle. Si les deux ailes ne sont pas également fortes et animées par une force commune, l’oiseau ne peut s’envoler vers le ciel », disait pourtant ‘Abdu’l-Bahán, figure centrale de la foi baha’ie.
Sources :
Le Monde – « À la Mostra de Venise, un festival d’hommes en crise » – lien – 5 septembre 2025