Jeudi 11 décembre, dans le cadre de sa niche parlementaire, le groupe socialiste a fait adopter sa proposition de loi instaurant une présomption de minorité pour les mineurs non accompagnés (MNA) contestant une décision de refus de prise en charge. Le texte, adopté par 144 voix contre 100, entend empêcher que des jeunes en recours se retrouvent sans hébergement, tout en ouvrant le débat sur les responsabilités de l’État et les tensions politiques autour de la protection de l’enfance.
Au terme d’une matinée de débats intenses qui se sont poursuivis dans l’après-midi, l’Assemblée nationale a adopté, ce jeudi 11 décembre, la proposition de loi socialiste visant à garantir la présomption de minorité pour les mineurs non accompagnés engagés dans un recours contre un refus de reconnaissance de minorité. Inscrit à l’ordre du jour dans le cadre de la niche parlementaire du groupe socialiste, ce texte entend répondre à une réalité devenue insoutenable : la présence de milliers de jeunes en recours laissés à la rue faute de prise en charge.
Le rapporteur, Emmanuel Grégoire, a ouvert les échanges en rappelant les engagements répétés du gouvernement depuis 2017, du président de la République comme de la Première ministre Élisabeth Borne, promettant qu’aucun enfant ne dormirait dehors. Huit ans après, a-t-il martelé, plus de 350 000 personnes vivent à la rue, dont plus de 2 000 enfants. Parmi eux, environ 4 000 jeunes contestent un refus de minorité, et plus de 500 rien qu’à Paris. Pour ces adolescents, la période du recours — qui peut durer plusieurs mois, jusqu’à un an en première instance — se transforme en zone de non-droit : trop jeunes pour accéder à l’hébergement généraliste, pas reconnus comme mineurs pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Au cœur du texte, l’article 1 instaure une mesure claire : lorsqu’un jeune saisit le juge pour contester une décision de refus de minorité, les effets de cette décision sont suspendus. L’hébergement d’urgence doit donc être maintenu jusqu’à ce que la justice tranche définitivement. Pour les socialistes, il s’agit d’un « devoir d’humanité », destiné à éviter que des enfants — parfois âgés de 15 ou 16 ans — soient condamnés à l’errance durant des mois. Emmanuel Grégoire a rappelé que près de 60 % des recours aboutissent finalement à la reconnaissance de la minorité, un taux pouvant atteindre 82 % dans certaines métropoles comme Lyon, signe d’un système d’évaluation initial « structurellement défaillant ».
La députée du Rhône, Sandrine Runel, a défendu un texte « simple et courageux », rappelant que ces jeunes « avant d’être des étrangers, sont des enfants », déjà marqués par la guerre, la faim ou des traversées périlleuses. La parlementaire a dénoncé des pratiques d’évaluation expéditives, parfois humiliantes, et salué l’action des associations, des citoyens et des villes qui suppléent un État « défaillant ». Pour elle, l’enjeu est autant juridique qu’éthique : inscrire dans la loi la présomption de minorité revient à « choisir la dignité plutôt que le renoncement ».
La proposition de loi prévoyait initialement la création d’un observatoire national du sans-abrisme, destiné à systématiser la collecte de données sur les personnes sans domicile, notamment les mineurs. Mais face aux réserves exprimées par les organismes nationaux déjà engagés dans ces travaux, le rapporteur a proposé sa suppression, souhaitant que les enquêtes existantes — notamment celles de l’Insee — soient renforcées.
Les débats ont cependant révélé de profondes lignes de fracture. La droite républicaine, le centre et plusieurs groupes indépendants ont exprimé de fortes réserves, voire une hostilité franche. Pour Josiane Corneloup (LR), la présomption de minorité représenterait un « contournement » des procédures d’évaluation, risquant de détourner un dispositif destiné aux enfants au profit d’adultes se déclarant mineurs. Elle met en avant des données issues des départements selon lesquelles seule une minorité des déclarants seraient réellement mineurs. D’autres députés du bloc central ont pointé la saturation des dispositifs d’hébergement et la crainte que le maintien dans l’accueil ne crée un « appel d’air ».
Le gouvernement, par la voix de la ministre Charlotte Parmentier-Lecocq, a émis un avis défavorable au texte. Si elle reconnaît la nécessité de réduire drastiquement les délais d’audiencement devant le juge des enfants, la ministre estime que la proposition de loi « dénaturerait » la procédure d’évaluation et risquerait d’affecter la prise en charge de jeunes en danger n’ayant pas encore accédé à un hébergement. Elle a toutefois rappelé les mesures engagées cette année : un renforcement des effectifs avec la création de 100 postes supplémentaires de juges des enfants et une refonte annoncée de la protection de l’enfance.
Face à ces critiques, la gauche, de l’écologiste Daniel Simonnet à la députée communiste Elsa Faucillon, a défendu un texte insuffisant mais essentiel, rappelant que les institutions internationales — du Comité des droits de l’enfant de l’ONU au Conseil de l’Europe — exhortent la France depuis des années à instaurer la présomption de minorité. Pour elles, le système actuel produit « des erreurs massives », exposant des mineurs à la rue, à l’exploitation et à la violence.
En dépit des oppositions, l’Assemblée a adopté le texte par 144 voix contre 100. Une victoire pour les socialistes, qui y voient un premier pas vers une réforme plus vaste de la protection de l’enfance.
Si la proposition de loi socialiste a été adoptée à l’Assemblée nationale, elle n’est pas encore applicable. Pour entrer en vigueur, elle doit maintenant : être examinée et votée par le Sénat, qui doit à son tour l’examiner, l’amender, la voter… ou la laisser dormir dans un tiroir. Elle pourrait ensuite éventuellement passer par une navette parlementaire entre Assemblée et Sénat. Elle pourra ensuite être promulguée puis publiée au Journal officiel.
Sources :
Assemblée nationale – Débats du 11 décembre 2025 – https://www.assemblee-nationale.fr