Face aux pressions américaines sur ses importations de pétrole russe, l’Inde oppose une résistance ferme. Donald Trump, déterminé à isoler Moscou, a frappé New Delhi de surtaxes punitives. Mais la manœuvre tarifaire pourrait bien se retourner contre Washington, dans un contexte de recomposition géoéconomique
La tension monte entre New Delhi et Washington. Depuis l’annonce par Donald Trump de surtaxes douanières progressives — 25 %, puis 50 % — visant les exportations indiennes, les relations commerciales entre les deux géants prennent un tour ouvertement conflictuel. En cause : la persistance de l’Inde à importer massivement du pétrole russe, à rebours des objectifs stratégiques des États-Unis.
En entrevue avec Marianne, Isabelle Bensidoun, économiste au CEPII, confirme que la tactique américaine relève moins du simple ajustement commercial que d’un instrument de coercition politique. La Maison-Blanche cherche à briser les liens énergétiques entre Moscou et ses partenaires, quitte à prendre en otage des secteurs entiers de l’économie indienne — pierres précieuses, textile, pharmacie — particulièrement dépendants du marché américain.
Pour Donald Trump, le timing est serré. La pression maximale doit coïncider avec les discussions de paix en cours entre Moscou et son émissaire Steve Witkoff. En infligeant des droits de douane la veille de la date-butoir de son ultimatum à Vladimir Poutine, le président américain entend accentuer le bras de fer diplomatique. L’Inde, deuxième importateur mondial de brut russe, se retrouve au centre de cette géopolitique des hydrocarbures.
Mais New Delhi ne cède pas. D’une part, parce qu’un arrêt brutal de ses importations perturberait profondément son économie. Le pétrole russe bon marché limite l’inflation, réduit les dépenses publiques en subventions, et soutient la compétitivité de son industrie. D’autre part, parce qu’après l’humiliation diplomatique subie dans le dossier pakistanais, l’Inde n’entend pas se soumettre à une nouvelle injonction venue de Washington.
Certes, au regard du PIB indien, les exportations vers les États-Unis ne représentent que 2 %. Mais l’impact sectoriel est bien réel : carnets de commandes gelés, incertitudes sur l’emploi dans les industries d’exportation, désorganisation des chaînes logistiques. Le signal envoyé est fort : dans l’ère Trump II, la diplomatie économique passe par la surtaxe, et les marges de négociation s’effritent.
Surtout, l’offensive tarifaire pourrait provoquer des effets inverses. En menaçant les industries indiennes les plus exposées aux marchés occidentaux, elle risque de rediriger les investissements vers d’autres partenaires — notamment la Chine ou les Émirats arabes unis — tout en renforçant l’axe énergétique entre Moscou et l’Asie. Une stratégie de décrochage des chaînes de valeur mondiales est peut-être en marche… au prix d’un affaiblissement durable de l’influence américaine en Asie du Sud.
Sources : Marianne, CEPII, AFP, News India Times