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Productivité publique : le gouvernement fixe un cap ambitieux de 2 % par an

Pour préparer les prochains exercices budgétaires, le gouvernement fixe une nouvelle ambition : améliorer chaque année la productivité des services publics de 2 %. Une cible chiffrée, utilisée comme cap de pilotage pour rationaliser les dépenses de l’État, mais dont la mise en œuvre soulève déjà de nombreuses interrogations, tant sur son application concrète que sur sa faisabilité.

C’est une inflexion discrète, mais significative dans la philosophie budgétaire de l’exécutif. En fixant un objectif annuel de 2 % de gains de productivité sur toutes les dépenses de l’État dites “pilotables”, la ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin, entend inscrire la dépense publique dans une dynamique de performance. Cette initiative marque un virage dans la manière de concevoir la gestion publique : il ne s’agit plus seulement de maîtriser la dépense, mais de transformer en profondeur le fonctionnement de l’appareil d’État. « Nous allons introduire cette règle dans la construction budgétaire, en demandant des indicateurs et des engagements sur les économies en lien avec la transformation des services », a-t-elle expliqué devant la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Une règle budgétaire difficile à calibrer

L’idée de gains de productivité dans les services publics n’est pas nouvelle, mais cette fois, elle devient une règle de calcul structurelle. Appliquer un taux fixe annuel de productivité à des dépenses publiques revient à imposer une pression constante sur l’administration pour faire autant — voire mieux — avec moins. Reste que la notion même de productivité dans la sphère publique est largement débattue. Contrairement au secteur privé, où elle se mesure en production par salarié ou unité de capital, son évaluation dans les ministères ou les agences publiques est plus complexe. « Il n’existe pas de thermomètre universel pour mesurer l’efficacité d’un service public », reconnaît un haut fonctionnaire dans les colonnes du Monde.

La ministre cible les dépenses “pilotables”, c’est-à-dire celles sur lesquelles les administrations ont une marge de manœuvre : fonctionnement courant, moyens humains, achats ou encore prestations de service. À l’inverse, les dépenses obligatoires ou liées aux prestations sociales ne sont pas concernées. Le ministère des comptes publics planche actuellement sur une déclinaison concrète de cette règle par programme budgétaire. Des arbitrages doivent encore être rendus pour fixer les modalités de calcul et déterminer comment les ministères devront rendre compte de leurs progrès.

Une pression sur tous les ministères

Pour les ministères, cette orientation est à la fois un défi technique et organisationnel. Elle suppose la production d’indicateurs précis et robustes pour démontrer année après année que l’objectif est tenu. Le risque, pointé de manière récurrente par plusieurs experts, est que cette pression se traduise par des coupes uniformes, sans lien avec la réalité du terrain ou la qualité du service. Le gouvernement assure vouloir éviter une logique mécanique de rabot budgétaire, mais la fine ligne entre incitation à l’efficacité et austérité déguisée sera difficile à tenir.

Certains ministères, comme Bercy ou la Défense, ont déjà engagé des démarches de mesure de la performance. D’autres devront adapter en profondeur leur organisation pour répondre aux nouvelles exigences. La numérisation des services, la simplification des procédures ou encore la mutualisation de fonctions support figurent parmi les leviers identifiés pour améliorer la productivité à coût constant. Mais ces chantiers prennent du temps, nécessitent des investissements de départ, et reposent souvent sur des réformes structurelles lourdes, qui peuvent susciter des résistances internes.

Des arbitrages budgétaires sous contrainte

Cette nouvelle boussole intervient dans un contexte de forte tension sur les finances publiques. Le gouvernement cherche à réduire le déficit public, annoncé à 5,5 % du PIB en 2024, et à infléchir la trajectoire de la dette. Le contexte macroéconomique, marqué par un ralentissement de la croissance, freine les recettes fiscales. Dans ce cadre, l’exécutif veut éviter les hausses d’impôts et préfère miser sur une meilleure efficience de la dépense publique. Le principe des 2 % devient ainsi un outil d’arbitrage entre ministères dans la préparation du prochain budget pluriannuel.

Cette règle pourrait rebattre les cartes dans la répartition des crédits budgétaires. Un ministère capable de démontrer des gains de productivité réels pourrait prétendre à des marges supplémentaires. À l’inverse, ceux qui n’atteindraient pas leur cible pourraient en être pénalisés. L’effet sur les services publics sera très attentivement observé, notamment dans des secteurs sensibles comme l’éducation, la justice ou la santé, où la qualité du service est difficilement compressible.

Alors que les auditions budgétaires viennent de commencer à Bercy, les premières modélisations sont en cours pour intégrer cet objectif de productivité dans les trajectoires ministérielles. La ministre des comptes publics promet un dialogue avec les parlementaires pour assurer la transparence de la méthode. Mais certains députés alertent déjà sur le risque de fragiliser des administrations sous tension, en ajoutant une contrainte supplémentaire sans accompagner les moyens nécessaires à la transformation.

Ce cap des 2 % par an se veut symbolique autant que technique : il marque la volonté de l’exécutif d’inscrire la modernisation de l’État au cœur de sa stratégie budgétaire. Reste à voir si cette règle, aussi ambitieuse qu’abstraite, pourra se traduire concrètement et durablement dans les rouages complexes de l’administration française.

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