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Dov Alfon en 2014. Photo : @102fm

Dov Alfon : comment le 7 octobre a bouleversé le directeur de Libération

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Franco-israélien, écrivain et ancien espion, Dov Alfon dirige Libération depuis 2020. L’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a rebattu les cartes : soupçons d’alignement, crispations internes, introspection identitaire. Portrait d’un dirigeant aux prises avec l’époque et sa propre biographie.

Quand Dov Alfon est élu en septembre 2020 à la tête de Libération, il incarne une rare synthèse de mondes a priori disjoints. Enfance parisienne puis israélienne, passage par le renseignement technologique de Tsahal, modernisation des rédactions, goût prononcé pour l’innovation éditoriale. Franco-israélien né le 24 mars 1961 à Sousse, il arrive auréolé d’une réputation de « digital native » avant l’heure, forgée dès 1994 avec « Captain Internet », chronique pionnière sur le Web publiée dans Haaretz. On le savait exigeant, parfois abrupt ; on découvrit aussi un directeur obsédé par la mise à niveau technologique et la conquête d’abonnés, après un vote massif de la rédaction (90,8 %) en sa faveur.

Le 7 octobre 2023, l’histoire s’invite brutalement dans sa trajectoire. Lui qui se décrivait comme « tunisien avant tout » se retrouve projeté dans une identité qu’il pensait dépassée. Ce jour-là, dit-il, « tout a changé ». Dans les semaines qui suivent, les tensions internes à Libération s’exacerbent avec comme point d’orgue à l’hiver 2024, une séquence de défiance qui cristallise les malaises managériaux et éditoriaux. Certains redoutent un biais pro-israélien du journal, d’autres dénoncent une suspicion injuste à son égard. Alfon s’en défend : « J’ai quitté Israël parce que je considère que ce pays ne va pas dans le bon sens. » Pourtant, chaque mot, chaque décision éditoriale semble désormais scruté à l’aune du conflit. S’il fustige la ligne de Benyamin Netanyahou, défend l’indépendance de sa rédaction, Alfon constate que chaque arbitrage est désormais lu à l’aune du conflit.

Ce mélange de ténacité et de goût du risque, Alfon l’a construit bien en amont. Officier de l’unité 8200, il y découvre Arpanet, futur Internet, apprend à hiérarchiser l’information et cultive une méfiance méthodique envers les certitudes. De retour dans les rédactions, d’abord à Koteret Rashit puis à Haaretz, il secoue les formats, lance de jeunes plumes, invente des rubriques hybrides, popularise la culture Web. Nommé rédacteur en chef de Haaretz (2008-2011), il fait des enquêtes la colonne vertébrale du quotidien : révélations conduisant à la mise en examen d’Ehud Olmert, publication des documents de l’affaire Anat Kam–Uri Blau, et défense bec et ongles de ses reporters face aux pressions. Son intransigeance en matière de protection des sources lui vaut en 2011 un Peace Through Media Award à Londres.

Parallèlement, l’homme écrit. Son thriller Une longue nuit à Paris, publié en français sous le titre Unité 8200, devient un best-seller traduit dans plus d’une dizaine de langues, primé en 2019 du prestigieux International Dagger de la Crime Writers’ Association et du prix Marianne. Un roman crépusculaire sur le renseignement et le pouvoir, qui puise dans sa mémoire professionnelle sans s’y asservir. Le 7-Octobre, concède-t-il, a toutefois rendu plus difficile l’écriture d’une fiction portée par un espion israélien : l’époque, saturée de passions, s’accommode mal des zones grises.

À Paris, Alfon lance ou soutient des projets numériques à but non lucratif — Alaxon, revue en ligne en hébreu, et Storyvid, passerelle expérimentale entre littérature et nouveaux médias avec Etgar Keret —, prolongeant ainsi sa conviction qu’un journal doit être un laboratoire. Son arrivée à Libération s’inscrit dans cette veine : industrialiser les flux éditoriaux, muscler le temps réel, adopter Arc Publishing, reconfigurer les services.

Dov Alfon reste convaincu que Libération doit se transformer pour survivre. Il veut un journal « plus complet », ouvert aux sujets d’économie, de santé et d’intelligence artificielle. « Libé est le mieux écrit de la francophonie, mais il doit élargir son socle d’abonnés », estime-t-il.

L’homme, enfin, cultive ses paradoxes. Séfarade longtemps regardé de haut par l’establishment ashkénaze, lecteur vorace de littérature française, ancien officier devenu patron d’un quotidien libertaire de gauche, il affronte la tempête avec une ironie sèche, un brin de mélancolie et une endurance forgée dans les salles de bouclage.

Sources :

INA, Wikipedia

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