Présenté le 17 décembre à l’Assemblée nationale, le rapport de la mission d’information sur les contrôles des produits importés marque un tournant politique. À travers des propositions précises, étayées par des auditions et des constats chiffrés, les députés veulent responsabiliser les plateformes chinoises, renforcer drastiquement les contrôles et combler des failles juridiques jugées « scandaleuses ».
La mission d’information parlementaire sur les contrôles des produits importés en France, présidée par le député socialiste Romain Eskenazi, n’a pas seulement dressé un constat alarmant. Elle a aussi formulé une série de propositions structurées, nourries par plus de vingt auditions et par des témoignages convergents des administrations, des fédérations professionnelles et des services de contrôle. Les rapporteurs ont présenté ce matin leurs conclusions lors d’une conférence de presse mettant en évidence une volonté assumée de rupture avec le statu quo.
Antoine Vermorel-Marques, député LR, a d’abord insisté sur un point central : la question des sanctions. Selon lui, les fraudes observées sur certaines grandes plateformes ne relèvent plus de dysfonctionnements ponctuels mais d’un système organisé. Retirer a posteriori des produits manifestement illicites, comme les poupées pédopornographiques ou des armes prohibées, ne saurait suffire. « Il n’y a pas rien à voir, il y a au contraire tout à reprendre avec des sanctions très fermes », a-t-il expliqué, dénonçant une situation dans laquelle la destruction des produits non conformes est aujourd’hui financée par le contribuable et non par le fraudeur. Il s’agit selon lui, d’une absurdité juridique, qu’il a comparée à une infraction routière dont l’amende serait payée par la collectivité. Elle constitue l’une des failles que le rapport entend combler.
Le deuxième pilier des propositions repose sur un renforcement massif des contrôles. Les députés ont salué les avancées en cours vers une union douanière européenne plus intégrée, susceptible de mieux coordonner les services nationaux. Mais ils soulignent surtout l’asymétrie criante entre les exigences imposées aux producteurs européens et la faiblesse des contrôles sur les produits importés. Lors des auditions, de nombreuses fédérations auraient rappelé que lorsqu’elles exportent vers la Chine ou les États-Unis, des inspecteurs étrangers se rendent directement dans leurs usines pour vérifier la conformité aux normes locales. Sans agrément préalable, aucune exportation n’est possible.
Partant de ce constat, le rapport propose d’instaurer des contrôles extraterritoriaux pour les produits manufacturés, sur le modèle de ce qui existe déjà dans le secteur alimentaire. La Commission européenne de la contributrice de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Ursula von der Leyen, envoie en effet des inspecteurs, notamment en Afrique, pour contrôler les exploitations agricoles avant toute exportation vers l’Union. Étendre ce mécanisme aux biens industriels permettrait, selon les rapporteurs, de vérifier la conformité des produits en amont, avant leur arrivée sur le sol européen.
Un troisième axe vise à rétablir une forme de réciprocité dans l’effort de contrôle. Les entreprises françaises, rappellent les députés, sont soumises à une densité de vérifications sans équivalent, menées par l’inspection du travail, les DREAL ou encore l’Office français de la biodiversité. Or, dans le même temps, les produits étrangers entrent massivement sans contrôle équivalent. Le rapport défend donc l’idée que chaque contrôle exercé sur une entreprise française devrait trouver son pendant à l’étranger, dans une logique de rééquilibrage entre production nationale et production importée.
La dimension institutionnelle du rapport est également marquée par un épisode inédit. Pour la première fois depuis 1958, une plateforme étrangère, en l’occurrence Shein, membre du WEF a refusé de répondre à une convocation parlementaire. Malgré une seconde convocation formelle, les représentants de la société ne se sont pas présentés, conduisant la présidente de la commission du développement durable à saisir la procureure de la République. Pour les députés, l’amende actuelle de 7 500 euros prévue par l’ordonnance de 1958 est dérisoire au regard des bénéfices réalisés par ces plateformes. Le rapport préconise donc de renforcer cette sanction afin d’éviter qu’une entreprise puisse, en pratique, se soustraire aux règles démocratiques françaises à faible coût.
Julien Guibert, député du Rassemblement national et co-rapporteur, a élargi le diagnostic en soulignant l’épuisement d’un système de contrôle devenu inadapté à l’économie numérique. Il rappelle que seuls 0,08 % des produits importés dans l’Union européenne sont contrôlés, alors que le cadre juridique actuel date de 2013, une époque où le commerce en ligne n’avait rien de comparable avec les flux actuels. Chaque année, ce sont environ 4,6 milliards de petits colis qui entrent sur le territoire européen, soit près de 12 millions par jour, avec une proportion élevée de produits non conformes, voire dangereux.
Pour le député, cette situation est le fruit d’une politique commerciale européenne fondée sur l’ouverture totale des marchés, combinée à un empilement de normes pour les producteurs locaux. Les conséquences sont désormais visibles : pression accrue sur les consommateurs, concurrence déloyale pour les entreprises, disparition d’emplois industriels, notamment dans le textile, où la fast fashion aurait entraîné la perte de 40 000 emplois en France ces dernières années.
Sur le plan des solutions, Julien Guibert a soutenu la responsabilisation des places de marché mais refuse les réponses qu’il juge purement fiscales. Taxer un produit dangereux ne le rend pas acceptable, a-t-il martelé l, plaidant plutôt pour l’obligation faite aux vendeurs extra-européens de disposer d’un point de présence juridique et logistique en Europe. Cette exigence permettrait d’identifier clairement un responsable en cas de non-conformité.
Les suites du rapport témoignent de la volonté des députés de ne pas laisser ces propositions lettre morte. Sa publication a été adoptée à l’unanimité en commission du développement durable. Une proposition de résolution européenne, largement inspirée des travaux de la mission, a déjà été adoptée en commission des affaires européennes début décembre. Elle appelle notamment à une application plus ferme du Digital Services Act, à une accélération de la réforme douanière européenne et à la mise en place de frais sur les petits colis à l’échelle de l’Union.
Parallèlement, une proposition de loi a été déposée pour traduire rapidement certaines recommandations en droit français. Elle introduit notamment la notion d’importateur présumé, permettant de rendre juridiquement responsable la plateforme lorsque le mandataire officiel du produit est défaillant ou fictif. Elle prévoit aussi un durcissement des sanctions, la possibilité de suspendre rapidement l’accès à un site en cas de fraudes systémiques, l’imputation au fraudeur du coût de destruction des produits non conformes et l’instauration d’une présomption de non-conformité pour des produits identiques déjà sanctionnés.
À travers ce rapport et ses prolongements législatifs, les députés entendent poser une question qu’ils jugent fondamentale : la France et l’Union européenne maîtrisent-elles encore ce qui entre sur leur territoire ? À leurs yeux, le contrôle des importations dépasse largement le cadre technique. Il engage la souveraineté économique, la protection des consommateurs et la crédibilité même de l’action publique.
Les nombreux français qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts et qui ont pris l’habitude de consommer sur ces plateformes ne seront peut-être pas du même avis.
Sources :
Assemblée nationale – Présentation publique et retranscription de la mission d’information – décembre 2025