Les deux groupes publics réclament 1,5 million d’euros de dommages et intérêts aux médias de la galaxie Bolloré, qu’ils accusent de mener une campagne coordonnée pour saper leur crédibilité. La ministre de la Culture Rachida Dati affirme ne pas avoir été informé de cette plainte qui relance le débat sur la liberté d’expression et ravive les tensions dans un paysage médiatique déjà polarisé.
L’offensive est inédite dans l’histoire récente de l’audiovisuel français. France Télévisions et Radio France ont assigné en justice CNews, Europe 1 et Le Journal du dimanche, trois médias contrôlés par Vincent Bolloré, pour « dénigrement ». Une démarche révélée par Le Figaro, qui s’est procuré les assignations. Les deux groupes publics dénoncent ce qu’ils décrivent comme une « entreprise orchestrée de déstabilisation » visant leur réputation, leur indépendance et, par ricochet, la confiance du public.
Le député UDR de la Marne, Maxime Michelet a interpellé Rachida Dati cet après-midi lors des questions au gouvernement pour lui demander si la ministre de la Culture avait été informée de cette plainte estimant que cette action en justice était une « injure à la liberté d’expression ».
Rachida Dati s’est dite agacée de ne pas avoir été informée, alors que l’État actionnaire finance ces entreprises avec l’argent public. Elle reconnaît certes que France Télévisions et Radio France « en ont le droit », mais estime que les tutelles « auraient dû être informées ».
Cela n’a pas manqué de faire réagir Eric Ciotti. « Delphine Ernotte aurait utilisé l’argent public sans accord de ses tutelles pour attaquer le groupe Bolloré, coupable de ne pas répandre la doxa gauchiste. C’est un détournement clair : les Français n’ont pas à financer ses procédures », estime-t-il.
Selon leurs plaintes, déposées séparément le 10 novembre devant le tribunal des affaires économiques de Paris, les deux entreprises ont documenté des mois de critiques virulentes dans les émissions de CNews, d’Europe 1 ou dans les colonnes du JDD. France Télévisions dénonce des propos « répétés, convergents, partiaux et négatifs », constituant à ses yeux une stratégie destinée à l’affaiblir. Radio France évoque une « entreprise orchestrée de déstabilisation » remettant en cause sa neutralité, son pluralisme et son usage des fonds publics. France Télévisions réclame un million d’euros de dédommagement, Radio France au moins 500 000.
Au cœur de l’escalade médiatique figure l’affaire Legrand-Cohen, qui a alimenté depuis la rentrée un climat d’hostilité ouvert. Les deux groupes publics avaient déjà alerté l’Arcom mi-septembre, dans un courrier cosigné par Delphine Ernotte et Sibyle Veil, camarade de promo d’Emmanuel Macron à l’ENA, dénonçant une « campagne de dénigrement systématique et quotidienne ». Le dossier était accompagné d’un montage d’extraits d’émissions particulièrement agressives, que l’on retrouve aujourd’hui dans les assignations. Mais l’Arcom ne peut statuer sur des accusations de concurrence déloyale : seuls les tribunaux peuvent trancher.
Face à ces attaques judiciaires, la riposte médiatique n’a pas tardé. Sur CNews, Pascal Praud a promis que, si le service public attaquait, le groupe Bolloré allait aussi « attaquer », menaçant d’examiner à la loupe tout propos susceptible d’être qualifié de dénigrement. Il a fustigé au passage un billet jugé « dégueulasse » du chroniqueur Bertrand Chameroy sur France Inter. De son côté, Delphine Ernotte avait déjà suscité une réaction virulente en qualifiant CNews de « chaîne d’extrême droite ».
La polarisation des médias, reflet d’un paysage politique lui-même fracturé, semble atteindre un nouveau stade. Pour certains acteurs du secteur, la procédure engagée par France Télévisions et Radio France risque d’alimenter une « guerre de surenchère » où chaque camp guette le moindre faux pas de l’autre. Le 29 janvier, une première audience opposera les trois médias privés aux deux groupes publics, ouvrant un front judiciaire dont personne ne peut encore prédire l’issue.
Sources :
Le Figaro, Libération, X.