La mobilisation des agriculteurs de la Loire contre la gestion de la dermatose nodulaire bovine a marqué un tournant vendredi 19 décembre à Roanne. Après un impressionnant défilé de tracteurs dans le centre-ville, la contestation agricole a mis en lumière une crise profonde, à la fois sanitaire, économique et sociale. Si la manifestation organisée par la Coordination rurale s’est déroulée dans une ambiance globalement calme et respectueuse durant la journée, saluée par les autorités locales, des tensions ont été constatées en fin de journée autour d’un rond-point.
Dès la matinée, près de soixante tracteurs ont convergé vers le centre-ville de Roanne, escortés par les forces de l’ordre. Les agriculteurs s’étaient donné rendez-vous au rond-point de Mably avant de rejoindre la sous-préfecture, point central d’une mobilisation annoncée comme la seule action organisée dans la Loire à ce stade.
Des exploitants venus du Rhône et de la Saône-et-Loire avaient fait le déplacement pour soutenir leurs collègues ligériens. Tous dénoncent une gestion jugée brutale de la dermatose nodulaire bovine, reposant sur l’abattage systématique des troupeaux dès l’apparition d’un cas. Une stratégie vécue comme une double peine, sanitaire et économique, dans un contexte déjà fragilisé.
Les témoignages des présidents de la Coordination rurale de la Loire et du Rhône
Sur place, Alain Pioteyry, président de la Coordination rurale de la Loire, résume la ligne défendue par de nombreux éleveurs du Roannais : « Le problème de la DNC, c’est un gros souci dans une région d’élevage comme le Roannais. Nous, ce qu’on prône, c’est la vaccination totale et l’arrêt de l’abattage total des troupeaux. »
Même position du côté du Rhône, où Serge Genevay, président de la Coordination rurale, alerte sur la fracture entre le monde agricole et les décisions politiques alors que les ministres ont demandé aux agriculteurs de cesser leur mobilisation pendant les fêtes. « Ils essaient de mettre l’opinion publique contre les paysans, mais les consommateurs sont prêts à nous soutenir », estime-t-il.
Mercosur, fiscalité, énergie: une colère qui dépasse la seule crise sanitaire
La contestation ne se limite pas à la dermatose nodulaire. L’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur cristallise une large partie des critiques. Pour Michel Sabatier, de la Confédération paysanne, il s’agit d’un non-sens économique et agricole : « Abattre systématiquement n’est pas la seule solution, et faire venir d’Amérique du Sud ce que l’on produit déjà chez nous n’a aucun sens pour les paysans comme pour les consommateurs. »
Les agriculteurs expliquent leurs revendications au sous-préfet de Roanne
Présent sur place, le sous-préfet de Roanne, Hervé Gerin, est allé à la rencontre des manifestants. Ancien cadre du ministère de l’Agriculture qui a eu l’occasion de travailler sur la filière viande, il a pu écouter les revendication des agriculteurs.
Les discussions ont notamment porté sur les coûts de production du blé, largement supérieurs aux prix de vente, sur l’impact des accords commerciaux comme le Mercosur, sur la fiscalité, l’énergie et la pression administrative.
Plusieurs agriculteurs ont également alerté sur les conséquences humaines des abattages sanitaires, en soulignant l’absence de suivi psychologique réel après la destruction des troupeaux. Un point présenté comme critique, déjà observé dans d’autres crises agricoles comme celle de la tuberculose bovine.
Certains agriculteurs comme Jean-Paul se sont également montrés sceptiques quand aux choix du gouvernement estimant qu’en France, « On n’écoute que certains scientifiques, alors que même des groupements vétérinaires européens dénoncent l’abattage systématique ».
Les échanges ont rapidement dépassé la seule question agricole pour exprimer un malaise plus large, partagé par le monde rural et les petites entreprises. Martin Lecole, gérant de Loire Fonderie, une entreprise située à Feurs a élargi le débat à la situation des petites et moyennes entreprises, dénonçant une accumulation d’impôts, une explosion des coûts de l’énergie et une perte de visibilité économique. Il a appelé à une « coalition des mouvements ».
Agriculteurs et entrepreneurs ont exprimé un sentiment d’abandon, une colère profonde envers les décisions nationales et européennes, et la crainte d’un déclassement durable de l’agriculture et de l’industrie françaises.
Le sous-préfet à l’écoute, mais sans solutions immédiates
Le sous-préfet affirme mesurer pleinement l’impact humain, psychologique et familial que représente l’abattage d’un troupeau.
Il rappelle toutefois que son rôle consiste avant tout à écouter, comprendre et faire remonter les revendications auprès de la préfète, tout en explorant les marges d’action possibles à l’échelle locale. La divergence principale reste, selon lui, la méthode, entre la stratégie sanitaire de l’État et les alternatives proposées par les agriculteurs.
Tensions politiques et évictions en marge de la mobilisation
La manifestation a également donné lieu à des tensions politiques. Frédéric Chauveau, militant du NPA, explique avoir été invité à quitter le rassemblement, officiellement présenté comme apolitique, même s’il estime qu’il avait le droit d’exprimer ses positions. « Le Mercosur profite aux grands groupes, mais les agriculteurs restent toujours les dindons de la farce », estime-t-il.
Il conteste la notion même de manifestation apolitique et estime que le débat sur l’agriculture est par nature politique.
Une convergence des colères encore fragile
Des Gilets jaunes étaient également présents, revendiquant une solidarité de terrain avec les agriculteurs. « Il y a une convergence entre les Gilets jaunes et bonnets jaunes, parce que nos revendications se rejoignent. »
Une colère qui ne retombe pas
Si la matinée s’est déroulée sans incident majeur, dans une ambiance bon enfant avec braseros, dégustation de viande et distribution de produits du terroir, la détermination des manifestants se lisait dans les remorques chargées de paille, de pneus ou de fumier.

En milieu d’après-midi, une partie de ces chargements a été déversée devant les grilles de la sous-préfecture de Roanne, matérialisant une colère longtemps contenue. Peu après 16 heures, les convois ont quitté le centre-ville, avec l’intention affichée de poursuivre les actions sur plusieurs ronds-points stratégiques de l’agglomération.
En fin de journée, sur le pont du Coteau, axe majeur reliant Roanne à la commune voisine, des pneus, du fumier et des bottes de paille ont été déposés puis incendiés, rendant la circulation impossible à l’approche d’un week-end déjà chargé par les déplacements liés aux fêtes de fin d’année. Les sapeurs-pompiers sont rapidement intervenus pour maîtriser les flammes, tandis que la police procédait à la fermeture temporaire de l’infrastructure.
Le président de la Coordination rurale de la Loire a tenu à se désolidariser de ces débordements, regrettant des initiatives susceptibles de perturber le quotidien des habitants et de brouiller le message porté par la mobilisation. Il avait néanmoins prévenu que, sans évolution de la situation, la colère agricole pourrait s’intensifier dans les mois à venir.