Au milieu des années 2000, alors que la bande de Gaza sort exsangue de la seconde Intifada (2000‑2005), James D. Wolfensohn. Multimillionnaire juif américain, banquier d’affaires et figure centrale de la finance mondiale est chargé d’une mission aussi ambitieuse que politiquement explosive : redresser l’économie de Gaza et l’intégrer dans les circuits de la mondialisation pour en faire la « Dubaï de la Méditerranée ».
À 73 ans, tout juste retraité de la présidence de la Banque mondiale qu’il a dirigée pendant une décennie (1995‑2005), Wolfensohn accepte le rôle d’envoyé spécial du Quartet pour le Moyen‑Orient — un attelage emblématique de la gouvernance globale réunissant les États‑Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations unies.
Sa mission est claire : transformer Gaza, enclave surpeuplée et détruite, en territoire économiquement viable, condition préalable, selon la doctrine dominante de l’époque, à toute stabilisation politique durable.
Une vision économique avant tout politique
Wolfensohn n’est pas un diplomate classique. Il incarne une approche technocratique et économique des conflits, typique des grandes institutions internationales de l’après‑guerre froide : développement, investissements, infrastructures, circulation des capitaux.
Grâce à son réseau personnel, il parvient rapidement à réunir près de 9 milliards de dollars de promesses de dons, un chiffre considérable pour l’époque. Banques, États donateurs, grandes fondations et institutions multilatérales répondent à l’appel.
De l’extérieur, l’optimisme est réel. L’éditorialiste vedette du New York Times,Thomas L. Friedman, théoricien assumé de la mondialisation libérale et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, va jusqu’à prédire à Gaza dans un de ses éditoriaux un avenir de « Dubaï sur la Méditerranée » — une métaphore révélatrice.
Cette comparaison n’est pas anodine : elle traduit une vision où le développement économique, l’ouverture aux marchés et l’intégration régionale sont perçus comme des remèdes universels, y compris dans les contextes de conflit asymétrique.
James Wolfensohn et les réseaux de l’élite mondialiste
Le choix de Wolfensohn ne doit rien au hasard. Diplômé de l’université américaine Harvard, membre du Forum économique mondial, il est l’incarnation parfaite de l’élite transnationale qui structure la gouvernance mondiale depuis les années 1990
Wolfensohn a exercé des responsabilités majeures au sein du monde financier international. Il a notamment été associé directeur général chez Salomon Brothers à New York, où il dirigeait le pôle de banque d’investissement, avant de devenir directeur général adjoint et administrateur délégué de Schroders Ltd. à Londres, entité membre du FEM.
Il a également été président de la Banque mondiale, membre du Forum économique mondial et a fondé Wolfensohn & Company, qui a été racheté par la Deutsche Bank, membre du WEF.
Il s’est imposé comme une figure centrale du système financier international, étroitement liée aux grandes fondations philanthropiques anglo-saxonnes et aux cercles de réflexion transatlantiques. Intervenant régulier dans ces réseaux d’influence, il a entretenu des relations durables avec des institutions majeures comme le Council on Foreign Relations, la Commission trilatérale fondée par David Rockefeller et l’Aspen Institute actuellement dirigé par le contributeur du FEM, Daniel R. Porterfield, autant de structures jouant un rôle clé dans la coordination et la formation des élites mondiales.
L’échec du « modèle Gaza »
Pourtant, le projet Wolfensohn échoue rapidement. Les raisons sont multiples : blocages politiques persistants entre Israël et l’Autorité palestinienne ; victoire électorale du Hamas en 2006, qui change radicalement la donne ; blocus de Gaza, rendant impossible toute intégration économique normale ; absence de véritable volonté politique internationale au‑delà des annonces financières.
Moins d’un an après sa nomination, James Wolfensohn démissionne, amer. Dans ses déclarations ultérieures, il évoquera un manque de courage politique et l’impossibilité de bâtir une économie sans souveraineté réelle.
Un précédent lourd de sens
L’épisode Wolfensohn constitue un précédent historique majeur. Il montre que l’idée de transformer Gaza en hub économique, touristique ou financier, comparable à Dubaï, ne date pas des années 2020, mais s’inscrit dans une longue tradition de pensée mondialiste.
Une tradition où l’économie précède le politique, le développement est confié à des experts issus de l’élite globale et les conflits sont envisagés comme des problèmes de gouvernance et d’investissement.
Vingt ans plus tard, cette vision ressurgit sous d’autres formes, avec d’autres acteurs comme Jared Kushner, gendre du contributeur du FEM, Donald J. Trump, mais les mêmes logiques.