Face à la pénurie de main-d’œuvre hautement qualifiée, le Vietnam multiplie les mesures pour faire revenir les Viet kieu— ces Vietnamiens de la diaspora installés à l’étranger. Assouplissement de la double nationalité, incitations économiques, campagnes de recrutement : le pays espère transformer le retour des cerveaux en moteur de croissance technologique.
Sur un trottoir bruyant de Hanoï, Minh Hoang, ancien ingénieur chez Google, déguste un bol fumant de bun rieu. À 43 ans, il a quitté la Californie pour devenir directeur des données chez Techcom, une société de courtage vietnamienne. « Aux États-Unis, j’avais tout : un bon emploi, une maison, une vie confortable. Mais travailler ici, c’est une manière de rendre à mon pays ce qu’il m’a donné », confie-t-il.
Son retour illustre une stratégie ambitieuse : le Vietnam veut attirer les cerveaux de sa diaspora. Ils sont près de six millions dans le monde, dont 80 % vivent dans des pays développés, selon le Comité d’État pour les Vietnamiens de l’étranger. Ces Viet kieu représentent un réservoir de compétences et de capitaux humains que Hanoï veut mobiliser pour franchir un cap décisif : passer du modèle manufacturier à une économie de la connaissance.
Une politique d’ouverture mesurée
Depuis 2024, le gouvernement a assoupli ses lois sur la nationalité et les visas, autorisant la double nationalité et promettant des incitations en matière de logement, de salaires et de création d’entreprise. Ce tournant s’inscrit dans une série de réformes structurelles lancées sous l’impulsion du secrétaire général du Parti communiste, To Lam, pour faire du secteur privé et des hautes technologies les piliers de la croissance nationale.
Le pays, dont la population atteint 100 millions d’habitants, affiche une croissance de 8 % au dernier trimestre. Mais cette dynamique cache un déficit criant de compétences : seuls 29 % des actifs disposent d’une formation qualifiante, contre 56 % au Japon et 63 % au Canada. « Le modèle vietnamien, fondé sur les exportations à forte intensité de main-d’œuvre, est à la croisée des chemins », résume Ingrid Christensen, directrice du bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) au Vietnam.
Les attraits et les obstacles du retour
Des profils comme Anh Kim Pham, Américaine d’origine vietnamienne passée par Accenture et Bank of America, sont devenus des recrues précieuses. Installée à Hanoï depuis trois ans, elle dirige la base de données de la banque VP Bank. « Ici, j’ai l’impression de contribuer à quelque chose. Mon opinion compte. Mais la culture de travail reste très hiérarchique et rigide », reconnaît-elle.
Les défis administratifs et institutionnels demeurent nombreux. Le directeur général d’InCorp Vietnam, Jack Nguyen, pointe la lenteur des procédures, la disparité d’application des règles selon les provinces et l’absence de politique claire sur le regroupement familial. Des obstacles qui freinent les ambitions de long terme.
Malgré cela, le secteur privé se montre offensif. Techcombank a lancé en 2022 son Overseas Talent Roadshow, un programme de recrutement itinérant ciblant les Viet kieu spécialisés en intelligence artificielle, data et finance. « Le Vietnam est très prometteur aujourd’hui. Les ambitions du gouvernement sont fortes et les talents commencent à y croire », se félicite Jens Lottner, le directeur allemand de la banque.
Entre enthousiasme et désillusion
Tous ne trouvent pas leur compte dans ce retour au pays. Une cadre financière, revenue de Shanghai et de Singapour, a finalement quitté Hô Chi Minh-Ville pour l’Australie, déçue par la fiscalité élevée et la faible protection sociale. D’autres, comme Quang Do, entrepreneur germano-vietnamien, préfèrent transiter par Singapour, le temps de mesurer les difficultés administratives du marché vietnamien.
Pour An Luong, 31 ans, ancien du MIT et de Microsoft, désormais directeur des données chez Masan Group, le pari vaut la peine : « Mon frère avait rêvé de revenir il y a quinze ans, mais il n’y avait alors aucune perspective. Aujourd’hui, les choses changent vite. »
Le pari d’un pays en mutation
Hanoï veut désormais rivaliser avec ses voisins asiatiques dans les semi-conducteurs, l’IA et la cybersécurité. Le retour des Viet kieu s’inscrit dans une vision à long terme : faire émerger un capital humain mondialisé sans renoncer au contrôle politique du Parti communiste. Une équation complexe, mais que les autorités assument pleinement.
« Le Vietnam est à un moment charnière », conclut l’économiste Nguyen Van Binh, ancien conseiller du ministère du Plan. « S’il réussit à mobiliser sa diaspora et à garantir un environnement plus transparent, il peut devenir l’un des pôles technologiques les plus dynamiques d’Asie du Sud-Est. »
Pour Minh Hoang, malgré le bruit assourdissant de Hanoï et l’écart salarial avec la Silicon Valley, le choix du retour n’est pas un sacrifice : « Je vois ma fille écrire ses premiers mots en vietnamien. Rien ne vaut ça. »
Sources :
Nikkei Asia – Vietnam courts diaspora’s tech talent – traduit de l’anglais – 06/10/2025 – asia.nikkei.com
Organisation internationale du travail (OIT) – Vietnam labour market report 2025 – ilo.org
Comité d’État pour les Vietnamiens de l’étranger – Statistiques 2024 sur la diaspora – mofa.gov.vn