You are currently viewing Twitter Files France : l’emprise de l’État français sur les médias, selon Civilization Works
Cette image a été générée à l'aide d'une intelligence artificielle. Elle ne constitue pas une photographie réelle de la scène ou de la personne représentée.

Twitter Files France : l’emprise de l’État français sur les médias, selon Civilization Works

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:MEDIA
  • Commentaires de la publication :0 commentaire

Publié le 3 septembre 2025 par l’ONG Civilization Works, le rapport « Comment la France a inventé le complexe industriel de censure ? » consacre un chapitre entier à l’architecture française de contrôle de l’information, de la presse papier à Internet. Appuyé sur des sources publiques et des précédents judiciaires, il retrace une histoire faite de surveillance, de subventions et de régulation administrative, dont les effets sur le pluralisme nourrissent la controverse.

Le point de départ est connu des juristes : la loi de 1881 consacre la liberté de la presse et rend la censure préalable impossible. Mais la tradition française conjugue cet héritage avec une vigilance étatique de longue durée. Des services de renseignement héritiers des RG et de la DST jusqu’à la DGSI, l’État a, de tout temps, entretenu des liens étroits avec les rédactions. Le rapport rappelle un épisode emblématique : en 1973, la DST est prise en flagrant délit d’installation de micros au Canard enchaîné, affaire documentée par la presse de l’époque.

Sous la Ve République, la tentation de l’écoute illégale a parfois franchi la ligne rouge. Entre 1982 et 1986, l’Élysée de François Mitterrand orchestre des écoutes clandestines visant journalistes, artistes, éditeurs et responsables politiques — une opération révélée puis jugée, dont la presse a conservé la mémoire.

À l’ère numérique, la surveillance de masse a buté sur le droit européen. En octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé que la conservation ou la collecte généralisée et indifférenciée de données ne peut être admise qu’en cas de menace grave pour la sécurité nationale, et de manière strictement encadrée. Autrement dit, l’exception ne peut devenir la règle, mais les gouvernements successifs auraient régulièrement agité des périls afin d’avoir les mains libres.

Au-delà des services, la main de l’État s’observe aussi dans l’économie des médias. Héritée de l’après-guerre et réformée en 2011, la régulation de la distribution de la presse (dite « loi Bichet » modernisée) confie à des autorités dédiées un pouvoir d’arbitrage qui, tout en garantissant la diffusion, peut influer sur l’écosystème. Dans l’audiovisuel, la libéralisation des années 1980 a laissé place à une régulation fine des temps de parole au nom du pluralisme. L’Arcom publie ainsi relevés et règles à chaque scrutin, sur le principe d’« équité » entre forces politiques — un principe validé et précisé à l’approche des européennes et des législatives de 2024. 

Le rapport évoque également le rôle des statuts et agréments. En France, l’accès aux aides, à la TVA réduite ou à certains avantages logistiques passe par des commissions indépendantes. La CPPAP peut retirer un agrément, décision lourde de conséquences financières. L’exemple FranceSoir, déchu fin 2022 puis engagé dans une bataille contentieuse, illustre la portée de ces mécanismes et les débats qu’ils suscitent. 

Côté Internet, la France a choisi, dès la transposition de la directive e-commerce, une voie singulière. La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN, 2004) instaure un régime de responsabilité allégée des hébergeurs, mais organise des procédures de retrait et, à l’article 6-1, autorise blocage ou déréférencement administratifs dans des cas spécifiques (terrorisme, pédopornographie), sans passage préalable devant le juge. Ce pouvoir, encadré, confère à l’administration une capacité d’action rapide — discutée par les défenseurs des libertés publiques. 

À partir de 2009, la plateforme PHAROS (Police/Gendarmerie) centralise les signalements de contenus illicites et alimente la coopération avec plateformes et autorités judiciaires. Les documents officiels confirment sa création et son périmètre, régulièrement modernisés. En parallèle, le débat sur la « modération » s’est internationalisé. Dès 2012-2013, des tribunes pointaient la pression croissante sur Twitter pour retirer des contenus jugés haineux en France, symbole d’une approche où l’ordre public prime très vite sur la liberté d’expression, au risque d’empiéter sur celle-ci. 

Le rapport rappelle enfin la « méthode douce » : la fiscalité et la compliance. En 2012, Microsoft et Facebook subissent des perquisitions du fisc français, soupçonnés d’optimisation agressive via l’Irlande. Les entreprises contestent, mais réorganisent leur présence et leurs équipes — Facebook nomme en 2013 Laurent Solly, ex-haut fonctionnaire proche de Bercy et de Nicolas Sarkozy, à la direction de sa filiale France, avant qu’il ne devienne vice-président Europe chez Meta. Ces trajectoires disent quelque chose de la porosité entre exigence réglementaire, relations publiques et intérêt des plateformes à se conformer aux attentes nationales. 

Pris ensemble, ces éléments dressent le tableau d’un « complexe » français de gestion de l’information : une presse libérale en droit, mais enchâssée dans un réseau de régulations, d’aides et de contrôles ; un audiovisuel surveillé à l’aune du pluralisme ; un Internet soumis à des procédures administratives de retrait, au croisement du droit européen, de la sécurité et du numérique. Le rapport de Civilization Works propose une lecture critique et systémique de cet édifice. Les documents publics confirment l’essentiel des faits cités ; ils n’épuisent pas le débat, mais ils éclairent les mécanismes concrets à l’œuvre, de la salle de rédaction au code source des plateformes. 

Sources :
Civilization Works – How France Invented the Censorship Industrial Complex (chapitre publié le 3 septembre 2025) – https://static1.squarespace.com/static/660c4b59c109b8233a98392b/t/68b8a39c7c3f750130d9daf1/1756930972696/TF%2BFRANCE%2BBIRTH%2BOF%2BCIC%2B-%2BENGLISH%2BCW%2BREPORT.docx%2B%281%29.pdf
Le Point – « Mitterrand, le maître des écoutes » (12 mars 2014) – https://www.lepoint.fr/politique/mitterand-le-maitre-des-ecoutes-12-03-2014-1800137_20.php
CURIA (CJUE) – Arrêt du 6 octobre 2020 (affaires jointes sur la conservation généralisée des données) – https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=232083
Légifrance – Article 6-1 de la LCEN (version au 7 juin 2022) – https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000044259721/2022-06-07/
Ministère de l’Intérieur – PHAROS, portail de signalement (consulté le 26 mai 2025) – https://www.masecurite.interieur.gouv.fr/fr/actualites/pharos-se-modernise
Légifrance – Arrêté du 16 juin 2009 portant création du système PHAROS – https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000020763903
Légifrance – Loi n° 2011-852 du 20 juillet 2011 (régulation de la distribution de la presse) – https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000024382030
Arcom – Protéger le pluralisme politique (page mission) – https://www.arcom.fr/nous-connaitre-nos-missions/garantir-le-pluralisme-et-la-cohesion-sociale/proteger-le-pluralisme-politique
Le Monde – « Facebook a aussi été perquisitionné par le fisc français » (14 novembre 2012) – https://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/11/14/facebook-a-aussi-ete-perquisitionne-par-le-fisc-francais_1790455_651865.html
Le Monde Informatique – « Laurent Solly nommé à la tête de Facebook France » (25 avril 2013) – https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-laurent-solly-nomme-a-la-tete-de-facebook-france-53393.html
The Guardian – Glenn Greenwald, « France’s censorship demands to Twitter are more dangerous than ‘hate speech’ » (2 janvier 2013) – https://www.theguardian.com/commentisfree/2013/jan/02/free-speech-twitter-france
Le Monde – « France-Soir n’est plus considéré comme site d’information en ligne » (30 novembre 2022) – https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/30/france-soir-n-est-plus-considere-comme-site-d-information-en-ligne_6152434_3234.html

Laisser un commentaire