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Viginum, le service d’investigation en sources ouvertes de l’Etat. © Ministère des Armées

Twitter Files France : comment la censure numérique s’est imposée depuis 2016

Depuis 2016, la France a multiplié lois et dispositifs pour encadrer l’information en ligne, souvent sous influence américaine et européenne. De la loi « fake news » à la création de VIGINUM, en passant par les affaires Durov et X, un chapitre du rapport « Comment la France a inventé le complexe industriel de censure? » de l’ONG Civilization Works, détaille comment l’appareil politico-judiciaire a pris la main sur l’espace numérique.

Le rapport de Civilization Works revient sur l’Histoire récente de la censure en France qui s’ouvre sur une séquence de traumatismes et de révélations. L’essor du Web 2.0 et des blogs avait contribué au rejet du Traité constitutionnel européen en 2005, après le séisme politique de 2002 qui vit Jean-Marie Le Pen accéder au second tour. La victoire de Barack Obama en 2008, appuyée par une stratégie digitale inédite, révéla le potentiel politique des réseaux sociaux. Trois ans plus tard, le Printemps arabe confirma leur capacité à mobiliser et déstabiliser. Mais le choc du Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016 installèrent un consensus transatlantique : l’information en ligne était devenue une menace existentielle pour l’ordre établi.

En France, ce constat se traduisit dans la rue avec le mouvement des Gilets jaunes. Né sur Facebook en 2018, il entraina une répression policière et la mise en place d’un arsenal judiciaire, de la part de l’État. L’idée qu’il fallait « réguler le chaos numérique » s’enracina alors dans les cercles dirigeants.

L’ombre américaine et l’effet Bruxelles

Le rapport souligne le rôle de l’influence américaine en France, via l’OTAN, la French-American Foundation et ses programmes Young Leaders, dont Emmanuel Macron est issu.

Entre les années 1960 et 1980, la France aurait servi de laboratoire au soft power américain. Une grande partie des diplomates de l’ambassade des États-Unis à Paris étaient en réalité des agents de la CIA. Washington cherchait à affaiblir l’influence communiste, en ciblant notamment la CGT et en menant une bataille idéologique dans le monde universitaire et intellectuel.

Le Congrès pour la liberté de la culture, basé à Paris et financé par la CIA, a joué un rôle central. Les États-Unis ont aussi soutenu les groupes trotskistes et maoïstes, perçus comme utiles pour diviser la gauche pro-soviétique, notamment durant Mai 68.

Face à eux, la droite gaulliste et la haute fonction publique française ont longtemps résisté à cette influence. Mais avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, Washington a trouvé une ouverture, concrétisée en 1976 par la création de la Fondation franco-américaine, principal vecteur d’influence américaine en France. Les présidents Ford et VGE sont d’ailleurs membres du groupe Bilderberg, groupe informel laissant la part belle aux américains et leurs alliés transatlantiques. Parmi les anciens lauréats notables du programme Young Leader de la fondation France Amérique, le rapport cite Emmanuel Macron, François Hollande, Édouard Philippe, Arnaud Montebourg, Najat Vallaud-Belkacem, Alain Juppé, Gabriel Attal et Jean-Noël Barrot.

Des think tanks anglo-saxons jusqu’à des ONG comme Reset, l’interconnexion des élites a structuré la réponse française à la « désinformation ». Le rapport relève qu’« après le retour de la France au sein du commandement unifié de l’OTAN, la plupart des groupes de réflexion anglo-saxons ont développé des programmes de bourses destinés aux ressortissants français ». Il cite l’exemple remarquable de Benjamin Haddad, actuel secrétaire
d’État aux Affaires européennes, qui a été employé par le Hudson Institute et l’Atlantic Council dont le directeur est le contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Frederick Kempe.

En 2022, un groupe de surveillance numérique, associant Arcom, l’Institut Montaigne, dont le président Henri de Castries est également président du comité de pilotage du groupe Bilderberg, Conspiracy Watch et des structures européennes, fut mobilisé durant la présidentielle. Son objectif : surveiller la transparence des algorithmes, avec un accent sur la lutte contre les influences étrangères.

Bruxelles, qualifié de « nid de lobbyistes », devint l’épicentre de cette stratégie. Le Digital Services Act (DSA) fut conçu comme un outil transposant des règles de censure automatisée et de retrait rapide de contenus dans les 27 États membres. La France, pionnière avec ses lois Avia ou SREN, servit de laboratoire. C’est d’ailleurs durant la Présidence Française du Conseil de l’Europe, que le texte a été porté par Thierry Breton et Cédric O., frère de la contributrice de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Delphine O.

Macron et l’obsession législative

Élu en 2017 après l’élimination judiciaire express de François Fillon et malgré les « Macron Leaks », Emmanuel Macron fit de la régulation de l’information un axe central. Sa majorité fit voter une succession de lois :
– 2018 : loi contre la manipulation de l’information, imposant aux plateformes des mécanismes de détection automatique de fake news ;
– 2020 : loi Avia contre les discours de haine, censurée en partie par le Conseil constitutionnel pour atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ;
– 2021 : création du Parquet national pour la haine en ligne (PNHL) et Observatoire de la haine ;
– 2024 : loi SREN sur la sécurisation de l’espace numérique, transposant le DSA et encadrant les deepfakes, avec sanctions financières lourdes.

Le parallèle dressé par le rapport avec les campagnes vaccinales anti-Covid est sans détour : face à l’échec des dispositifs précédents, l’État multiplie les « doses législatives », sans parvenir à bâtir une loi cohérente et efficace.

Fact-checking et méfiance publique

Entre 2017 et 2020, Facebook rémunéra Libération pour vérifier les faits. Mais les études montrent que le fact-checking peine à convaincre un public français largement défiant : 73 % ne font pas confiance aux médias et 70 % estiment que l’État les induit en erreur, selon le baromètre CEVIPOF 2025. Reporters sans frontières et Conspiracy Watch, accusés de partialité et d’activisme politique, n’ont pas apaisé cette défiance.

VIGINUM et la guerre de l’information

Créée en 2021, VIGINUM incarne la volonté de l’exécutif d’agir dans la bataille des narratifs. Officiellement chargée de détecter les ingérences étrangères en ligne, l’agence est rattachée au SGDSN et fonctionne sur la base d’open source intelligence. Le rapport l’accuse toutefois de jouer un rôle offensif, notamment lors des élections roumaines de 2024, où elle aurait contribué à invalider un scrutin contesté pour « manipulation TikTok », mettant en avance une ingérence russe. La nomination de son directeur, un militaire spécialiste de contre-insurrection, alimente l’idée d’une mission plus intrusive qu’annoncé.

La justice comme bras armé

Au-delà des lois, c’est la magistrature qui est mise en cause. Le rapport souligne la nomination par Emmanuel Macron de procureurs stratégiques et la condamnation inédite de figures politiques comme Marine Le Pen à l’inéligibilité, pendant que d’autres affaires sensibles (Xavier Niel, OVH) semblent évitées.

Deux dossiers emblématiques cristallisent les tensions :
– Pavel Durov, fondateur de Telegram, arrêté à Paris en 2024 et accusé de complicité dans des délits graves. Le rapport suggère que la pression visait davantage un contrôle politique que judiciaire, Telegram étant massivement utilisé par les élites françaises ;
– X (ex-Twitter) : sous Elon Musk, la plateforme est accusée de biais favorables à l’extrême droite. En 2025, la procureure de Paris a ouvert une enquête pour « atteinte au fonctionnement d’un système informatique » et « ingérence étrangère », sur fond de plaintes considérées comme politiques et institutionnelles.

Une censure à l’ère algorithmique

Le futur se dessine autour de la vérification d’âge obligatoire, du portefeuille numérique européen prévu pour 2026 et d’un projet de « contre-algorithme » piloté par l’Arcom. Derrière la protection des mineurs et la lutte contre la haine, se profile une uniformisation algorithmique des contenus. Le spectre du « Chat Control », projet européen visant à scanner les communications chiffrées, plane toujours, malgré les réserves de la Cour constitutionnelle allemande.

L’ensemble dessine un tableau inquiétant : en moins de dix ans, la France a empilé lois, agences et procédures judiciaires pour tenter de contenir l’expression en ligne. Une logique préventive et automatisée, où la liberté d’opinion cède du terrain face à une architecture institutionnelle désormais tournée vers la surveillance et la dissuasion.

Sources :
Civilization Works – How France Invented the Censorship Industrial Complex (rapport, 3 septembre 2025) – lien
France Bleu – « Affaire McKinsey : enquête ouverte sur les comptes de campagne d’Emmanuel Macron » (24 novembre 2022) – lien
Sciences Po – « Baromètre de la confiance politique CEVIPOF 2025 » (11 février 2025) – lien
Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale – « VIGINUM » (17 novembre 2022) – lien
Le Monde – « Pavel Durov accuse la France d’avoir voulu censurer des voix conservatrices » (18 mai 2025) – lien

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