Le président sortant Kaïs Saïed, accusé par la société civile de « dérive autoritaire », a été réélu avec une majorité écrasante de 90,7 % lors du scrutin de dimanche, qualifié de « verrouillé » et marqué par un record d’abstention. M. Saïed a recueilli un peu plus de 2,4 millions de votes sur les 9,7 millions d’électeurs inscrits, a annoncé lundi l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Le taux de participation s’est établi à 28,8 %, le plus bas depuis l’instauration de la démocratie en 2011, dans ce pays de 12 millions d’habitants, berceau du Printemps arabe après le renversement du dictateur Ben Ali.
Seuls deux concurrents – des candidats de second plan – ont été autorisés à se présenter parmi les dix-sept initialement en lice, après l’élimination des principaux rivaux de M. Saïed. Ayachi Zammel, un industriel libéral de 47 ans, n’a obtenu que 7,35 % des voix, tandis que Zouhair Maghzaoui, ancien député de gauche panarabe, n’a recueilli que 1,97 %.
Un processus électoral « faussé »
Le processus de dépôt des candidatures a été semé d’obstacles, notamment un nombre élevé de parrainages requis et l’emprisonnement de candidats connus. Des ONG tunisiennes et internationales ont dénoncé une autorité électorale « ayant perdu son indépendance » et un processus « faussé en faveur de M. Saïed ».
Ayachi Zammel n’a pas pu faire campagne car il est emprisonné depuis début septembre et a déjà été condamné à plus de quatorze ans de prison pour des falsifications présumées de parrainages. Zouhair Maghzaoui, aligné sur l’idéologie souverainiste de M. Saïed, a vu sa campagne pénalisée par son soutien au coup de force du président en juillet 2021, lorsque celui-ci s’était emparé des pleins pouvoirs pour, disait-il, rétablir l’ordre. Ce coup de force avait été largement applaudi par une population fatiguée des querelles parlementaires et des difficultés économiques, que M. Saïed attribuait aux « politiciens corrompus » soutenus par des « puissances étrangères », visant principalement le mouvement islamo-conservateur Ennahda.
Depuis le printemps 2023, plus d’une vingtaine d’opposants, dont le leader d’Ennahda, Rached Ghannouchi, et la militante Abir Moussi, nostalgique de l’ère Ben Ali, ont été emprisonnés. Ces derniers mois, des syndicalistes, avocats, chroniqueurs politiques et défenseurs des droits des migrants ont également été incarcérés.
L’Union européenne a déclaré avoir « pris note » des critiques émises par diverses ONG et opposants concernant l’intégrité du processus électoral et des « mesures jugées préjudiciables aux exigences démocratiques de crédibilité ». La Commission européenne entretient toutefois des bons rapports avec Saïed, qui lui permet de déployer sa nouvelle politique migratoire.
Un taux de participation historiquement bas
Après l’annonce de la large victoire de Saïd, dimanche soir, plusieurs centaines de ses partisans ont célébré l’événement sur l’avenue principale de Tunis, avec des klaxons et des chants patriotiques. Cependant, les jeunes, qui avaient massivement voté en 2019, ont largement boudé les urnes cette fois-ci, avec seulement 6 % de participation chez les 18-35 ans, contre 65 % chez les 36-60 ans, selon les données fournies par l’ISIE dimanche.
Beaucoup redoute un nouveau durcissement du régime après la réélection de M. Saïed, qui a réaffirmé dimanche sa volonté de « poursuivre la révolution de 2011 » pour bâtir « un pays nettoyé des corrompus et des complots ».