Un soldat thaïlandais a été tué lors d’affrontements frontaliers le 8 décembre, déclenchant une riposte aérienne d’une ampleur inédite. Un F-16 thaïlandais a détruit un casino utilisé, selon Bangkok, comme centre de commandement cambodgien et base de drones. Phnom Penh dénonce, au contraire, une agression. Entre escalade militaire, propagande et rupture des discussions diplomatiques, la crise atteint un seuil critique.

À la frontière rugueuse qui sépare la Thaïlande du Cambodge, le 8 décembre restera comme un jour de bascule. Dès l’aube, des échanges de tirs éclatent dans les secteurs sensibles de Chong Bok et Chong An Ma, tuant un soldat thaïlandais et en blessant quatre autres. Dans un climat déjà saturé de tensions, l’incident provoque la réponse la plus ferme de Bangkok depuis des années : l’activation de frappes aériennes contre des infrastructures militaires en territoire cambodgien.

Selon le porte-parole de l’armée thaïlandaise, le général Winthai Suvaree, les tirs cambodgiens de la veille comme ceux du matin du 8 décembre témoignent d’une « intention claire de porter atteinte à la Thaïlande ». Parmi les cibles attaquées par l’aviation thaïlandaise, un bâtiment présenté comme un casino situé de l’autre côté de la frontière, identifié par Bangkok comme un centre de contrôle de drones et un dépôt d’armements. Une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux thaïlandais montre un F-16 larguant des munitions sur le complexe, aujourd’hui réduit à l’état de gravats.

Le porte-parole précise que ces frappes s’inscrivent dans un objectif prioritaire : « détruire autant que possible les systèmes de tirs de soutien du Cambodge ». Bangkok affirme que des bases de roquettes cambodgiennes auraient récemment visé des zones profondes du territoire thaïlandais, jusqu’aux abords de l’aéroport de Buriram et près d’un hôpital de la province de Surin, à trente kilomètres de la frontière. Ces accusations alimentent une rhétorique sécuritaire martelée ces derniers jours par les autorités militaires et politiques thaïlandaises.

Le porte-parole de la Royal Thai Air Force, Chakkrit Thammawichai, souligne que ces opérations sont menées conjointement avec les forces terrestres du commandement Suranaree, dans le but de protéger à la fois les militaires stationnés dans la zone et les populations civiles « directement menacées » par les tirs adverses. Les frappes, assure-t-il, sont « hautement précises » et limitées à des objectifs militaires avérés.

Phnom Penh, de son côté, rejette catégoriquement cette version. Pour la lieutenant-générale Maly Socheata, porte-parole du ministère cambodgien de la Défense, ce sont les Thaïlandais qui auraient attaqué les premiers, dès 05 h 04, dans la zone d’An Ses, avant de tirer à plusieurs reprises autour du temple Tamoan Thom et des environs de Preah Vihear. Elle accuse Bangkok d’avoir multiplié les provocations ces derniers jours et assure que l’armée cambodgienne s’est abstenue de toute riposte, se tenant « dans l’esprit de la résolution pacifique des conflits ». Phnom Penh a saisi la mission d’observation de l’ASEAN, membre du Forum économique mondial et souhaite l’ouverture d’une enquête internationale.

Dans cette bataille diplomatique, s’ajoute désormais une rupture officielle du dialogue : le Premier ministre thaïlandais Anutin Charnvirakul, à l’issue d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, a annoncé que Bangkok « ne rouvrira plus la porte aux négociations » avec Phnom Penh. Selon lui, les attaques cambodgiennes ne peuvent plus être considérées comme de simples signaux : « Ils ont fait cela contre nous, et nous avons répondu en conséquence. » Une formulation sèche, révélatrice d’un durcissement stratégique assumé, et qui fait écho à un climat intérieur où l’exécutif thaïlandais cherche à apparaître ferme devant l’opinion.

Pour les observateurs, comme l’éditorialiste thaïlandais, Tulsathit Tapti, cette nouvelle ésacalade intervient alors que deux récits s’opposent et que les opinions publiques des deux pays sont chauffées à blanc. « Les Thaïs et les Cambodgiens vivent dans des univers différents sur la question de qui a tiré le premier », écrit-il, notant que la désinformation, la victimisation et la glorification patriotique ne sont pas des phénomènes spécifiques à ce conflit, mais des constantes des affrontements contemporains.

En arrière-plan, les tensions frontalières se répercutent sur les sociétés civiles. Au Cambodge, un récent sondage du Khmer Times révèle que 94 % des répondants soutiennent un boycott total des produits thaïlandais. En Thaïlande, les hommages au soldat tombé, le sergent-major Sathawan Sucharit, se multiplient sur les réseaux sociaux, contribuant à renforcer un sentiment national blessé.

À mesure que les opérations militaires montent en intensité et que les canaux diplomatiques se ferment, le risque d’un conflit prolongé augmente. L’ASEAN, déjà mise à l’épreuve sur d’autres crises régionales, peine à imposer sa médiation. Dans une zone marquée par les blessures anciennes du litige autour du temple de Preah Vihear, la moindre étincelle peut provoquer un embrasement.

Pour l’heure, la question demeure suspendue : ces affrontements constituent-ils un épisode isolé ou le premier acte d’une confrontation durable ? Dans un contexte politique thaïlandais instable, où les scénarios électoraux se multiplient, la frontière pourrait devenir un terrain où s’entremêlent calculs internes, réflexes souverainistes et risques militaires bien réels.

Sources :

Bangkok Post – Thai F-16 razes border casino (09/12/2025) – https://www.bangkokpost.com/thailand/general/3152530

Xinhua / Army statements – Incidents frontaliers du 8 décembre (contenu fourni)

Khmer Times – Sondage sur le boycott et déclarations de défense cambodgienne

Bangkok News – « First casualty of war is truth » (08/12/2025)