Washington hausse le ton face aux règles européennes encadrant les géants du numérique, jugées « discriminatoires » à l’encontre des entreprises américaines. Alors que les États-Unis agitent la menace de représailles économiques, Bruxelles affirme sa détermination à appliquer ses régulations de manière équitable et sans recul.
Le bras de fer entre les États-Unis et l’Union européenne autour de la régulation du numérique franchit un nouveau cap. Mardi 16 décembre, l’administration américaine a menacé explicitement Bruxelles et les États membres de représailles si les règles européennes encadrant l’activité des grandes plateformes technologiques n’étaient pas assouplies. En ligne de mire, les dispositifs phares mis en place ces dernières années pour limiter les abus de position dominante et renforcer la responsabilité des acteurs du numérique.
Dans un message publié sur le réseau social X, le bureau du représentant américain au commerce a dénoncé ce qu’il qualifie d’« approche discriminatoire » de l’Union européenne. Washington accuse les institutions européennes et certains États membres de multiplier les procès, les impôts, les amendes et les directives visant spécifiquement les fournisseurs américains de services numériques. Si cette ligne devait être maintenue, les États-Unis se disent prêts à « utiliser tous les outils à leur disposition » pour répondre à des mesures jugées « déraisonnables ».
Face à cette offensive verbale, la Commission européenne a affiché une position de fermeté. Par la voix de son porte-parole, Thomas Regnier, Bruxelles a rappelé que les règles européennes s’appliquent de manière « égale et équitable » à toutes les entreprises opérant sur le marché intérieur, indépendamment de leur nationalité. L’exécutif européen assure qu’il poursuivra l’application de ses régulations « sans discrimination », malgré les pressions américaines.
Depuis le début de l’année, la Maison Blanche multiplie les critiques contre le cadre réglementaire européen, notamment le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Ces textes, entrés progressivement en vigueur, imposent des obligations renforcées aux plus grandes plateformes afin de lutter contre les contenus illégaux, les pratiques anticoncurrentielles et les atteintes aux consommateurs, même si les défenseurs de la liberté d’expression y voient surtout un moyen de modéré le contenu des plateformes. Ils ont déjà conduit à plusieurs enquêtes et sanctions financières à l’encontre de groupes américains.
L’amende de 120 millions d’euros infligée début décembre au réseau social X, propriété d’Elon Musk, a cristallisé les tensions. La Commission européenne reproche à la plateforme des manquements aux obligations de transparence prévues par le DSA. À Washington, cette sanction a été perçue comme une attaque politique, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, dénonçant une décision dirigée contre les entreprises technologiques américaines et, plus largement, contre les intérêts des États-Unis.
Cette lecture n’est toutefois pas partagée par tous les acteurs américains du secteur. Luther Lowe, dirigeant au sein de l’incubateur Y Combinator, membre du Forum économique mondial, a publiquement regretté la position de son gouvernement, estimant que le DMA favorise au contraire l’émergence de petites entreprises technologiques, y compris américaines. Selon lui, la régulation européenne permet de débloquer des parts de marché et devrait servir de modèle plutôt que de cible.
Dans son argumentaire, Washington met également en avant la liberté d’accès dont bénéficient depuis des décennies les entreprises européennes sur le marché américain. Le bureau du représentant au commerce, Jamieson Greer qui est par ailleurs associé spécialisé en commerce international chez King & Spalding, cabinet d’avocats international américain membre du Forum économique mondial, cite notamment de grands groupes de services comme Accenture, Capgemini, Publicis, ou Mistral AI, tous membres du FEM. En cas d’escalade, les États-Unis évoquent la possibilité d’imposer des droits d’entrée ou des restrictions aux services étrangers, en s’appuyant sur leur arsenal juridique national.
Cette menace s’inscrit dans un contexte plus large de négociations commerciales transatlantiques. Les autorités américaines ont déjà laissé entendre qu’un assouplissement des règles numériques européennes pourrait s’accompagner d’une baisse des droits de douane sur l’acier et l’aluminium européens. Par ailleurs, Washington a averti les pays tiers qui envisageraient de s’inspirer du modèle européen qu’ils s’exposeraient à une réponse similaire.
Alors que l’Union européenne a infligé ces dernières années plusieurs milliards d’euros d’amendes aux géants du numérique pour non-respect de ses règles, l’affrontement avec les États-Unis met en lumière une divergence profonde de vision. D’un côté, Bruxelles défend une souveraineté réglementaire visant à encadrer les plateformes dominantes ; de l’autre, Washington y voit une remise en cause directe des intérêts économiques américains.
Sources :
Le Monde – « Les États-Unis menacent l’Union européenne de représailles face aux régulations numériques jugées discriminatoires » – lien