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Image : @Romance.

Publicité Intermarché et message subliminal : quand la tolérance devient une injonction à se conformer

La dernière publicité d’Intermarché, largement relayée et commentée sur les réseaux sociaux, a suscité une vague d’émotions positives. Esthétique soignée, narration douce, animaux attendrissants, musique enveloppante. Tout semble réuni pour livrer un message de bienveillance et de tolérance. Pourtant, derrière cette fable moderne mettant en scène un loup en quête d’acceptation, se cache un mécanisme psychologique et social bien plus problématique.

Le récit est simple. Un loup se sent seul. Il effraie les autres animaux de la forêt. Pour être accepté, il change. Il renonce à sa nature de prédateur, devient inoffensif, modifie son comportement, et finit par trouver sa place au sein du groupe.

Sur le plan narratif, tout est maîtrisé. La publicité joue sur des codes émotionnels puissants : la solitude, le rejet, le désir d’appartenance, puis la récompense finale de l’intégration. Le spectateur est naturellement invité à s’identifier au loup et à se réjouir de son dénouement heureux.

Mais c’est précisément là que réside le problème.

Une acceptation sous condition

En prenant du recul, le message implicite apparaît clairement. Le loup n’est pas accepté tel qu’il est. Il est accepté après transformation. Cette transformation n’est pas présentée comme un choix libre, mais comme une condition nécessaire pour ne plus déranger, ne plus faire peur, ne plus être rejeté.

Autrement dit, le récit ne parle pas de coexistence entre des différences. Il parle de conformité. Le message sous-jacent est limpide : tu peux rester, à condition de ne plus être ce que tu es.

Ce type de message est extrêmement puissant car il touche à un besoin fondamental de l’être humain : le besoin d’appartenance. Pour ne pas être exclu, pour ne pas rester seul, pour être reconnu par le groupe, l’individu est prêt à renoncer à une partie de lui-même.

La peur du groupe jamais questionnée

Dans cette publicité, le loup n’est ni violent, ni cruel, ni immoral. Il est prédateur. Il est simplement conforme à sa nature. Pourtant, sa simple existence suffit à générer de la peur, une peur présentée comme évidente et légitime.

Le groupe, lui, n’est jamais invité à interroger ses représentations, ses projections ou sa peur de l’altérité. L’ajustement est unilatéral. C’est au loup de changer, jamais aux autres d’évoluer dans leur regard.

Ce mécanisme est bien documenté en psychologie sociale. Lorsqu’un individu sort de la norme dominante, le groupe a tendance à pathologiser ou moraliser sa différence plutôt qu’à la comprendre. Michel Foucault résumait ce phénomène par une formule célèbre : la norme n’exclut pas, elle corrige.

Quand l’adaptation devient un effacement de soi

Ce récit véhicule l’idée que rester fidèle à sa nature conduit à la solitude, tandis que se conformer ouvre les portes de l’acceptation. Psychologiquement, cet apprentissage est lourd de conséquences.

Il instille l’idée que ce que l’on est profondément n’est pas acceptable. Qu’il faut se lisser, s’effacer, nier ses particularités et ses besoins fondamentaux pour mériter une place. À court terme, cette adaptation peut soulager. Le conflit extérieur diminue, le rejet semble s’éloigner. Mais le conflit ne disparaît pas, il devient intérieur.

Les personnes qui passent leur vie à se conformer développent souvent une fatigue psychique chronique, une difficulté à identifier leurs besoins, un sentiment d’inauthenticité, voire une culpabilité diffuse d’exister telles qu’elles sont. Dans certains cas, cela conduit à la dépression, au burn-out ou à une colère sourde contre le monde.

Une métaphore qui dépasse la publicité

Il suffit de déplacer légèrement l’angle de vue pour mesurer la portée du message. Et si ce loup était un enfant à l’école ? Un enfant hypersensible, en situation de handicap ou simplement différent. Que penserait-on d’un discours qui lui dirait que, pour être accepté, il doit changer ce qu’il est ?

Le malaise est immédiat. Parce que nous savons intuitivement que demander à un enfant de renoncer à ce qu’il est, et qu’il ne peut pas changer, pour être aimé, crée des blessures profondes et durables.

Le même mécanisme est à l’œuvre dans le monde du travail. Sous couvert de savoir-être, d’intelligence émotionnelle ou d’adaptabilité, de nombreux salariés reçoivent des injonctions implicites à se taire, à ne pas faire de vagues, à se conformer à une culture d’entreprise, parfois au prix de leur santé mentale.

Une vision appauvrie du vivre-ensemble

La publicité d’Intermarché ne parle pas réellement de tolérance. Elle parle de normalisation. Elle ne nous apprend pas à vivre avec ce qui dérange, mais à le modeler jusqu’à ce qu’il ne dérange plus.

Or, dans le vivant comme dans les sociétés humaines, l’équilibre repose sur la diversité. Un monde sans prédateurs est un monde déséquilibré. Une société qui ne tolère que ce qui est rassurant, prévisible et conforme finit par étouffer la créativité, la pensée critique, la singularité et l’innovation.

Apprendre à vivre ensemble ne consiste pas à gommer les différences au nom d’un prétendu bien commun. Cela consiste à reconnaître que certaines différences bousculent, interrogent, dérangent, et que c’est précisément leur rôle.

Un message problématique, surtout pour les plus jeunes

Lorsqu’un tel récit s’adresse implicitement aux enfants, la vigilance s’impose. Apprendre que l’amour et l’intégration sont conditionnés au renoncement de soi est un apprentissage dangereux. Il fabrique des individus adaptés en apparence, mais profondément coupés de leur identité.

Ce n’est pas le fait que le loup soit un prédateur qui pose question. D’autres prédateurs sont présents dans la vidéo. Le vrai sujet, c’est ce que la publicité nous apprend sur la différence, la norme et le prix à payer pour être accepté.

Et c’est précisément là que le message mérite d’être interrogé, au-delà de l’émotion et de la mignonnerie.

Une publicité de l’agence Romance appartenant à Omnicom

La publicité d’Intermarché a été créée par l’agence de publicité française Romance, qui travaille régulièrement avec la marque pour ses campagnes émotionnelles, notamment les spots de Noël. Cette agence appartient au groupe Omnicom, l’un des grands groupes mondiaux de communication membre du Forum économique mondial. Elle a collaboré avec Illogic Studios et Wizz pour réaliser ce spot qui cartonne dans le monde entier. La vidéo aurait en effet dépassé les 100 millions de vues sur X d’après le tweet ci-dessous.

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