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Juan Perron. Image : ancienne carte postale.

Pourquoi autant de Nazis ont-ils fui en Argentine après la Seconde Guerre Mondiale ?

Après l’effondrement du IIIe Reich en mai 1945 et la libération de l’Europe du joug nazi, une traque des dignitaires hitlériens a débuté. Si beaucoup ont été arrêtés et jugés, d’innombrables nazis se sont volatilisés, et des milliers ont réussi à se cacher puis à fuir l’Europe, avec l’Argentine comme destination principale en Amérique du Sud. Ce pays est devenu une terre d’accueil majeure pour ces fugitifs, y compris les pires criminels de guerre, qui y ont souvent coulé des jours heureux sans jamais être rattrapés. Mais pourquoi l’Argentine est-elle devenue ce refuge privilégié ? Quelles raisons ont motivé les autorités argentines à accueillir des dizaines de milliers de nazis ?

Le choix de l’Argentine par de nombreux nazis en fuite n’est pas un hasard. L’Allemagne et l’Argentine entretenaient déjà des liens étroits bien avant l’arrivée des nazis. Dès le XIXe siècle, l’Amérique du Sud était perçue par les Allemands comme une terre riche en ressources avec un climat agréable, un refuge idéal où tout était possible. Certains intellectuels allemands envisageaient même de créer une sorte d’« Amérique allemande ».

Bien que cette conquête n’ait jamais eu lieu, une importante diaspora européenne, et notamment allemande, s’était déjà installée en Argentine depuis la fin du XIXe siècle, en grand nombre après la Première Guerre mondiale. Cette communauté allemande a constitué un réseau susceptible d’accueillir les nazis en fuite ou de servir d’alibi pour leur présence.

Les réseaux d’exfiltration et la bienveillance du régime péroniste

Dès l’été 1945, des réseaux d’exfiltration se sont mis en place pour évacuer de hauts responsables allemands, dont le plus connu est l’ODESSA. Grâce aux réseaux du Vatican et à de faux passeports de la Croix Rouge, les fugitifs transitaient par la Suisse et l’Italie pour embarquer vers l’Amérique du Sud. Si certains ne faisaient que passer par Buenos Aires pour rejoindre d’autres pays comme le Brésil ou le Paraguay, la majorité des nazis en fuite a choisi de rester en Argentine, qui est rapidement devenue leur principal point de chute.

La bienveillance de Juan Peron présumé proche de la maçonnerie

À cette époque, l’Argentine était présidée par Juan Perón, dont l’idéologie populiste, nationaliste, socialiste et anticléricale était compatible avec celle de certains Allemands. Parmi les décisions controversées de Perón figure l’accueil massif d’anciens nazis. Les historiens soulignent des points communs entre les régimes fascistes européens et les régimes d’Amérique du Sud, mais l’implication du régime de Perón est essentielle.

Juan Perón a été soupçonné d’avoir entretenu des liens avec des loges maçonniques latino-américaines, notamment dans les années 1930 et 1940, comme beaucoup de militaires et hauts fonctionnaires de l’époque. Il aurait été initié dans une loge dite « humaniste », sans que cela soit documenté de façon concluante.

Sous le régime de Perón, les émigrés nazis se savaient en sécurité. Certains, passés par l’Espagne de Franco, étaient même directement naturalisés. C’est le cas de Joseph Mengele, le médecin d’Auschwitz, qui est arrivé en Argentine en 1949 sous un faux nom avant de récupérer son identité. Malgré leur statut de personnes recherchées, les nazis en cavale n’étaient pas activement traqués. Les Alliés, préoccupés par la reconstruction de l’Europe et le début de la Guerre Froide, ont préféré laisser faire.

L’organisation de l’accueil et les figures clés

À partir de 1947, l’afflux d’émigrés allemands est tel que Perón confie à Santiago Peralta, son ministre de l’immigration, la gestion d’une commission spéciale chargée de superviser leur arrivée, naturalisation et installation. Peralta a étudié l’anthropologie à l’Université de Buenos Aires, se spécialisant dans la craniométrie. Il a poursuivi ses études en Allemagne en 1932, où il s’est formé à l’anthropologie appliquée. Connu pour ses positions ouvertement antisémites, il publia des ouvrages racistes visant les communautés juives et arabes. Il dirigea la Direction générale des migrations et l’Instituto Étnico Nacional entre 1945 et 1948. Face aux pressions croissantes de la communauté internationale et des organisations juives, Perón a finalement démis Peralta de ses fonctions le 7 juin 1947, le remplaçant par Pablo Diana à la tête de la Direction générale des migrations

Peralta était assisté par le colonel Enrique Gonzales, un ancien soutien nazi. La Commission Peralta comprenait également des figures comme Carlos Fuldner, un ambassadeur germano-argentin, qui a été agent des services secrets du régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, chargé d’identifier les nazis à envoyer en Argentine, ainsi que d’anciens cadres allemands et des collaborateurs européens. Il a agi dans des réseaux souterrains, notamment via la société de navigation Empresa CAPRI qu’il a fondé et qui avait pour objectif principal de fournir un emploi et une couverture légale à des criminels de guerre nazis. Rodolfo Feude, le chef des services secrets argentins d’origine allemande, a également joué un rôle. Il est largement impliqué dans l’organisation du passage de criminels de guerre nazis vers l’Argentine. Cette opération a été menée avec l’aide de Carlos Fuldner, de l’Église catholique (via des passeports du Vatican), et de réseaux complices en Europe, notamment via la Croix-Rouge actuellement membre du Forum économique mondial.

L’Argentine a ainsi accueilli de nombreux membres de la SS, dont des criminels notoires comme Klaus Barbie, Gerhard Bohne, Joseph Mengele, et Adolf Eichmann. Certains ont même travaillé pour le gouvernement argentin dans les forces armées, le renseignement, et les secteurs scientifiques et industriels, participant même au programme nucléaire argentin. On estime qu’environ 90 000 anciens nazis étaient installés en Argentine en 1947.

Les motivations de Perón : expertise, idéologie et intérêts financiers

Les raisons pour lesquelles Perón a tant tenu à accueillir les nazis sont multiples. Il existait déjà une importante communauté d’expatriés allemands en Argentine, et Perón entretenait des liens personnels avec le régime nazi dès les années 30. Accueillir ces Allemands permettait de récupérer le savoir-faire des hauts dignitaires nazis pour moderniser le pays. En retour, ces Allemands étaient placés dans des postes importants, assurant leur fidélité à Perón. Perón lui-même avait été formé dans une école militaire fondée sur le modèle allemand, et les grandes entreprises allemandes étaient une source d’inspiration.

Dans une interview en 1970, Perón a admis avoir sciemment participé aux réseaux d’exfiltration nazis, affirmant vouloir tirer profit de l’effort technologique allemand en utilisant les hommes compétents pour développer l’Argentine. Il espérait faire de son pays un leader en Amérique du Sud, capable de concurrencer les États-Unis.

Cependant, l’argument de l’expertise ne suffit pas à expliquer l’accueil des nombreux criminels de guerre. L’idéologie du régime argentin et celle des nazis avaient de nombreux points communs. L’Argentine des années 40-50, fascinée par le fascisme italien et le nazisme allemand, était devenue un bastion conservateur et nationaliste, valorisant son héritage européen, blanc et chrétien et développant un antisémitisme croissant, malgré son passé de terre d’accueil pour les Juifs. L’influence nazie s’était infiltrée dans les politiques et l’éducation. Des événements comme le grand rassemblement en 1938 pour fêter l’Anschluss témoignent de la proximité entre les deux pays avant la guerre. L’accueil de nazis non-allemands montre que c’était bien leur idéologie qui intéressait le gouvernement péroniste.

Enfin, des intérêts financiers liaient également Perón aux nazis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Argentine a maintenu de bonnes relations avec l’Allemagne, et des dignitaires nazis ont fait d’importants dépôts dans des banques de Buenos Aires. Des rapports américains de 1946 affirment que des millions de dollars volés aux Juifs ont été transférés en Argentine. L’hypothèse du transfert d’une partie des réserves d’or allemandes par sous-marins est également évoquée. Des transactions d’or suspectes entre la Suisse et l’Argentine ont eu lieu à cette période. Ludwig Feude, le père du chef des services secrets, aurait financé la campagne présidentielle de Perón en 1946. Eva Perón entretenait également des liens financiers avec des banquiers suisses.

La fin de l’asile et l’héritage

Après la chute de Perón en 1955, l’Argentine est devenue moins sûre pour les anciens nazis. Si certains, comme Joseph Mengele, ont continué à vivre paisiblement dans d’autres pays d’Amérique du Sud, d’autres, comme Adolf Eichmann, ont été capturés et jugés. L’héritage de cette période reste présent en Argentine, où certains se réclament encore du péronisme, oubliant la contribution de Perón à l’accueil des nazis.

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