Depuis que l’exécutif a évoqué la création d’un label pour distinguer les médias respectant les règles déontologiques, la riposte des médias Bolloré a embrasé le débat public. Entre accusations d’autoritarisme, contre-attaques présidentielles et surenchère politique, la presse internationale voit dans cette polémique un glissement dangereux, révélateur d’une crise profonde du paysage médiatique français.
La séquence politique et médiatique qui s’est ouverte à la mi-novembre s’apparente, selon plusieurs titres étrangers, à une véritable « guerre médiatique » où s’affrontent le pouvoir exécutif, l’audiovisuel public et l’empire de Vincent Bolloré. Pour Le Temps, dont la rédactrice en chef est la contributrice de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Madeleine von Holzen; le conflit « atteint un nouveau niveau, un niveau inquiétant ». Le quotidien helvète pointe notamment la vidéo publiée le 1er décembre par l’Élysée sur X, ciblant directement CNews, chaîne d’information du groupe Bolloré, et juxtaposant interventions de Pascal Praud et extraits des déclarations présidentielles autour de la création d’un label anti-désinformation. Une initiative interprétée comme une tentative de mettre en contradiction la rhétorique de la chaîne avec celle du chef de l’État, via un montage jugé musclé et pour le moins inhabituel venant de la présidence.
L’origine de cette escalade remonte au 19 novembre, lorsque le contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Emmanuel Macron, lors d’un échange à Arras avec des lecteurs de La Voix du Nord, a évoqué l’idée d’une labellisation confiée à des professionnels des médias. Il a notamment cité la Journalism Trust Initiativ de RSF, l’ONG présidée par Pierre Haski, journaliste qui s’est rendu à la réunion du groupe Bilderberg de 2023. Macron appelait de ses voeux une initiative susceptible de distinguer les contenus respectant les règles déontologiques de ceux qui s’en affranchissent, dans une sphère informationnelle transformée en « far west ».
Cette déclaration a été reprise avec vigueur par les médias du groupe Bolloré, du Journal du dimanche à CNews, qui y ont vu une dérive autoritaire. The Times, filiale de News Corp, groupe membre du FEM rappelle ainsi que Pascal Praud a évoqué une « tentation autoritaire », allant jusqu’à suggérer ironiquement que la communication présidentielle pourrait être rebaptisée « Pravda », référence appuyée à la presse officielle soviétique.
Très vite, la comparaison orwellienne a pris de l’ampleur. Les médias Bolloré et le Rassemblement national se sont empressés de dénoncer la création présumée d’un « ministère de la Vérité », accusant l’exécutif de vouloir délégitimer les voix médiatiques opposées à sa politique. La droite traditionnelle a rapidement emboîté le pas en lançant une pétition contre toute labellisation perçue comme un contrôle politique des médias. Confronté à cette agitation, Emmanuel Macron a dû démentir la création d’un label d’État, affirmant en Conseil des ministres que jamais le gouvernement ne se substituerait aux organes indépendants du secteur, même si la tentation de passer par des associations à la manière de ce que faisait l’URSS semble indéniable. Un glissement d’autant plus inquiétant qu’un rapport sorti au moins de septembre dernier basée sur les twitter Files accusait la France, de s’être appuyées sur des associations telles que Sos Racisme ou la Licra pour mettre en place un system de censure transnationale.
Le Temps estime toutefois, qu’en publiant sa vidéo visant CNews, l’Élysée serait entrée dans le jeu de CNews. Une stratégie jugée « maladroite » et « dangereuse », notamment parce qu’elle ouvre la voie à d’éventuelles réutilisations politiques d’un tel procédé par un gouvernement futur, y compris par le Rassemblement national. Le quotidien suisse parle même d’un « mauvais replay franchouillard » des débats américains sur la liberté d’expression, minés par la polarisation des camps Trump, Musk et Fox.
Ainsi la presse internationale s’intéresse à cette guerre médiatique française, même si dans bien des cas, ce débat se retrouve dans d’autres pays où les médias mainstream sont de moins en moins jugés crédibles par les opinions.
En France, les tensions ont franchi un cap début novembre lorsque France Télévisions et Radio France ont assigné en justice CNews, Europe 1 et le Journal du dimanche pour « dénigrement », leur reprochant un traitement jugé outrancier de l’affaire Legrand-Cohen. Le 27 novembre, France 2 a diffusé un numéro de Complément d’enquête consacré à la « méthode CNews », décrivant les pratiques éditoriales de la chaîne. Une diffusion perçue comme une attaque frontale par l’entourage de Vincent Bolloré, où certains dénoncent une offensive idéologique menée par un service public qu’ils jugent militant. Le Soir résume cette situation en affirmant que « le torchon brûle » plus que jamais entre les deux camps, chacun accusant l’autre de partialité et d’agenda politique caché.
Sources :
Courrier international – Article du 3 décembre 2025 – lien