À Lyon, l’ASPAS a organisé une journée entière consacrée au loup, mêlant table ronde scientifique, cartes blanches d’associations, forum écologiste et projection du film Vivre avec les loups. Chercheurs, vétérinaires, naturalistes, cinéastes et acteurs de terrain se sont retrouvés à la Maison de l’Environnement de la Métropole de Lyon et à l’ENS. Ils y ont dressé un état des lieux sans concession, au moment où la France s’apprête à déclasser le loup — une décision qui pourrait bouleverser la conservation de l’espèce et la cohabitation dans les territoires.
Au niveau européen, la protection du loup est passée le 7 mars 2025 de « espèce strictement protégée » à « espèce protégée ». Le site du gouvernement indique que le reclassement du statut européen « amènera en 2026 de nouvelles modalités de gestion en droit français ». Sur le territoire national, les mesures législatives permettant aux éleveurs d’abattre des loups sans autorisation préalable sont annoncées, à partir de 2026.
Nous avons rencontré Thierry Ruf administrateur de l’Aspas qui alerte : la France s’apprête elle aussi à déclasser le loup Cette mesure faciliterait fortement sa destruction et contreviendrait, selon lui, aux engagements internationaux de la France visant à maintenir l’espèce dans un bon état de conservation.
Les intervenants l’ont pourtant rappelé : la France tue déjà 19 à 21% de sa population de loups chaque année — plus de 200 individus, légalement. Si l’on ajoute la mortalité naturelle et accidentelle, une étude récente évoque près de 38% de mortalité annuelle dans la population française. Rien à voir avec l’image d’un animal intouchable.
Une population encore fragile
Le chercheur Gilles Rayé a rappelé un chiffre clé : sur environ 1 000 loups estimés, seulement 400 sont matures. Le seuil de viabilité se situe entre 500 et 1 000 adultes reproducteurs. Conclusion : la population française n’est pas viable.
Le chercheur Gilles Rayé a rappelé un point scientifique fondamental trop souvent ignoré dans le débat politique :
« On parle de 1 000 loups en France, mais seulement environ 400 individus matures. Le seuil de viabilité est de 500 à 1 000 loups matures. La France n’a pas atteint ce seuil. »
Selon lui, l’erreur initiale du ministère aurait été de confondre effectif total et effectif reproducteur et cela continue de produire des politiques inadaptées. Dans les faits, la population stagne depuis 2 à 3 ans. Une stagnation qui, selon les modèles évoqués, pourrait même basculer en déclin dès 2026. D’autant plus que la loi va être modifiée.
Tirs de défense : efficacité faible, dérives fortes
Pour le vétérinaire Alex Lathullière, de Vétérinaires pour la biodiversité, une association qui cherche à œuvrer pour une meilleure coopération entre les acteurs et un meilleur accompagnement des éleveurs par les vétérinaires sur la question de la prédation du loup et des conflits d’usage, les tirs létaux n’ont qu’une efficacité temporaire (30 jours, 4 km), dépendant fortement du contexte.
Et sur le terrain, les dérives se multiplieraient :
« Des chasseurs tirent via les autorisations de leurs copains éleveurs. Les préfets n’ont plus la main », alerte Jean-Michel Bertrand, réalisateur du film « Vivre avec les loups« .
Une dérégulation rampante déjà à l’œuvre, avant même le déclassement officiel.
Élevage : une réalité loin des discours alarmistes
Bien que la France soit le pays d’Europe qui déclare le plus d’attaques attribuées au loup, les intervenants ont souligné que chiffre s’expliquerait par l’existence d’un système d’indemnisation centralisé, par la qualité de ses statistiques, par l’ampleur de son cheptel — le premier cheptel bovin du continent — et par un pastoralisme particulièrement développé.
Sur le terrain, la réalité est plus nuancée : la moitié des éleveurs situés en zone à loup ne subiraient aucune attaque, et parmi ceux qui en connaissent, 80 % sont touchés seulement une ou deux fois par an. Les épisodes de « sur-killing » spectaculaires appartiennent largement au passé, tandis que les prédations récurrentes se concentrent désormais sur une minorité d’exploitations (environ 5 à 6 %) identifiées comme hotspots.
Reste une question essentielle : pourquoi observe-t-on toujours des attaques centrées sur les mêmes élevages ? Plusieurs hypothèses sont étudiées, notamment par Gilles Rayé dans le cadre du programme METRA, qu’il s’agisse de la qualité des dispositifs de protection, du profil des meutes ou de vulnérabilités structurelles propres aux exploitations.
Lorsque les mesures de protection sont correctement mises en place, elles semblent fonctionner d’après les intervenants. Une position que ne partage par Bruno Lecomte, éleveur et fondateur du Collectif L113 qui a pour but de défendre le bien-être du troupeau au pâturage sur tout le territoire national et qui a déploré l’absence d’éleveurs lors de cette table ronde.
Jean-Michel Bertrand : « Le loup a dynamisé la filière plus qu’il ne l’a détruite »
Avec son franc-parler habituel, le cinéaste Jean-Michel Bertrand a livré un témoignage de terrain qui tranche avec le discours des syndicats agricoles.
« Dans les années 80, il n’y avait presque plus de bergers. Aujourd’hui, il y en a des centaines. Les alpages revivent. Les cabanes sont réhabilitées. Merci le loup. »
Son propos ne nie pas les difficultés, ni la pression sur les éleveurs. Mais il rappelle une réalité : le loup n’est pas responsable du déclin de la consommation d’agneau, effondrée de 47% en dix ans.
Selon lui, « Les loups disent beaucoup sur notre façon d’appréhender la nature, le sauvage et tous nos fantasmes par rapport à ça ». « Nous sommes souvent à côté de la plaque et ils nous remettent en place », nous a confié le réalisateur à l’issue de la table ronde.
Pressions politiques, préfets fragilisés, FNSEA omniprésente
Plusieurs intervenants ont décrit un fonctionnement institutionnel préoccupant : préfets sous pression directe des syndicats agricoles, coups de fil ministériels, et une administration environnementale progressivement subordonnée au ministère de l’Intérieur.
« On assiste à un glissement antirépublicain : la science est balayée, les lobbys décident, et l’État renonce à son rôle », a résumé Gilles Rayé.
Le déclassement du loup apparaît alors comme le résultat d’une stratégie politique, non d’une évolution scientifique pour les intervenants.
Chiens de protection : efficaces, mais avec des limites réelles
La table ronde n’a pas évité le sujet sensible : les conflits d’usage. La question des chiens de protection, souvent présentés comme une solution indispensable face au retour du loup, a occupé une place importante dans la table ronde, tant leurs limites concrètes suscitent aujourd’hui des tensions : attaques de patous sur des chiens de randonneurs, difficultés de cohabitation dans les zones très touristiques où les flux humains sont importants, ou encore problème du « sur-équipement » canin observé dans certains massifs, où le nombre de chiens dépasse parfois la capacité réelle d’encadrement des troupeaux.
La question du chien de protection n’a plus rien d’anecdotique : elle est devenue un véritable enjeu social, touristique et même vétérinaire, révélateur de la complexité croissante de la cohabitation entre activités humaines et faune sauvage.
Sur les nouveaux fronts de colonisation : la vraie bombe à retardement
Dans le Limousin, la Bretagne, le Poitou, la Corrèze… l’arrivée du loup bouleverse des élevages non préparés, aux paysages “bocagers”, où les outils de protection alpins ne sont pas adaptés.
C’est là que la politique publique est la plus défaillante selon les intervenants.
Alex Lathullière l’a parfaitement résumé :
« C’est toute notre agriculture qu’il va falloir repenser. Le loup n’est qu’un révélateur. »
Braconnage, dépénalisation, battues administratives : le grand risque de 2025
Le déclassement du loup ouvre la voie à un tournant risqué en 2025, avec l’assouplissement des règles de tir, la possibilité de battues administratives sur décision préfectorale et la fin de l’obligation de protection avant d’abattre un animal.
Ce cadre plus permissif pourrait encourager le braconnage et rendre presque impossibles les contrôles. Même si la dépénalisation totale du braconnage semble écartée, le message envoyé reste celui d’une régulation allégée et d’un usage accru des armes. Comme l’a résumé le vétérinaire Alex Lathuyère, cela revient à « supprimer les radars et dire “soyez prudents” ».

La clé : coopération locale, science de terrain, dialogue
Partout où éleveurs, bénévoles et organisations coopèrent, les résultats sont spectaculaires : en Haute-Savoie, les attaques ont chuté de 56 % grâce à des dispositifs collectifs ; dans le Jura et le Doubs, des nuits de garde bénévoles ont permis d’obtenir zéro attaque ; dans le Poitou, des syndicats agricoles pourtant opposés travaillent ensemble. Qu’il s’agisse des programmes MEN, METRA, Ferus ou WWF, le constat est le même : dès que les acteurs dialoguent, l’efficacité est au rendez-vous.
Jean-Michel Bertrand le dit mieux que personne :
« Quand on se parle, quand on mange ensemble, quand on regarde un troupeau ensemble, tout va mieux. C’est sur Facebook que tout se déchaîne. »
La journée s’est poursuivie par une série de carte blanche accordée à plusieurs acteurs qui ont expliqué leurs projets en lien avec les loups, ce fût notamment l’occasion de découvrir le travail de ‘association Carduelis.
Sur le Plateau de Millevaches, l’association Carduelis tente de protéger les loups en documentant leur retour
Carmen et Vincent, les fondateurs de cette petite association basée en Limousin, ont raconté leur suivi du retour du loup sur le Plateau de Millevaches. Après l’installation d’un premier mâle germano-polonais en 2021-2022 — finalement abattu illégalement — ils ont continué leurs suivis et, en 2024, identifié un nouveau couple : un mâle germano-polonais et une jeune femelle italo-alpine.
Malgré un tir préfectoral en juillet 2024 qui a gravement blessé le mâle, le couple a survécu et a commencé à se cantonner. Au printemps 2025, leurs pièges-photo ont confirmé une reproduction. Le 1er juin, depuis un point d’observation lointain, ils ont observé quatre louveteaux sortant d’une ancienne blaireautière — une scène rarissime.
Carduelis mène aujourd’hui un recours juridique contre la préfecture de Corrèze pour obtenir les documents sur le tir illégalement dissimulés, tout en poursuivant le suivi scientifique de cette première portée, mais c’est également en visibilisant la présence des loups sur le Plateau de Millevaches qu’ils entendent proéèger les loups de leur région.
Un Forum d’assoication
La journée s’est poursuivie par un forum d’association écologistes en lien avec le loup ou pas. Nous avons notamment eu l’occasion de rencontrer l’association Focale pour le sauvage, un regroupement d’artistes, de vidéastes et de citoyens qui cherche à sensibiliser à travers les photos de ses membres sur les thématiques en lien avec la protection de la biodiversité et du vivant
Nous avons également rencontré Frédérique Resche-Rigon, bénévole au sein de France Nature Environnement, l’un des plus anciennes association écologiste du Rhône.
Dans la soirée, une soirée projection-débat du film Vivre avec les loups, a été organisée à l’Amphithéâtre Mérieux de l’ENS, en présence du réalisateur Jean-Michel Bertrand. Ce film documentaire nous amène de manière sensible et cinématographique à percevoir différemment la nature qui nous entoure et les animaux qui l’habitent.
Au terme de cette journée dense, une constante se dégage : le retour du loup révèle surtout l’état de notre rapport au vivant et les contradictions d’un système agricole fragilisé.
Alors que l’État s’apprête à assouplir encore davantage les tirs et que le déclassement du loup pourrait transformer 2025 en année charnière, une meilleurs communication entre éleveurs, naturalistes, scientifiques et associations semble indispensable pour une meilleure compréhension mutuelle.
Le débat sur le loup n’est pas qu’un débat sur un animal : il interroge notre capacité collective à repenser notre lien au sauvage et à décider quel avenir nous voulons pour nos territoires.