L’école de théâtre Okno, faisant partie du Club Lycorn, une association dédiée à l’organisation et à la promotion d’activités culturelles en langue russe, a interprété dimanche soir « Le roi nu », une pièce de théâtre d’Evgueni Schwartz, qui critiques les totalitarismes. Cette association, fondée en 2016, a accueilli des Ukrainiens après l’invasion russe en Ukraine.
« Le Club Lycorn est une association qui organise des événements culturels et éducatifs en langue russe. Nous accueillons beaucoup de réfugiés russes et ukrainiens et avons réussi à garder des liens d’amitié« , nous a expliqué Marina Dupont de Dinechin, présidente du Club Lycorn.
« Le Club Lycorn s’est immédiatement montré anti-guerre, de nombreux membres de notre association ont hébergé des réfugiés. Notre objectif initial était de faire connaître la culture russe, aujourd’hui c’est aussi de réconcilier les gens et d’apaiser la haine à travers des projets artistiques », a ajouté Anton Gokpo, professeur de théâtre de l’école Okno.
Anton Gokpo, expert sur Evgueni Schwartz, nous en a dit plus sur ce journaliste, écrivain, dramaturge et scénariste russe et soviétique, qu’il considère comme l’un des « grands auteurs dramatiques russes » du XXe siècle. Avant la pièce, il a indiqué que « Schwartz a inventé un genre qui n’existait pas de son vivant et qui a ressuscité avec Shrek ». Schwartz, qui s’est engagé dans l’armée blanche durant la révolution bolchévique, participant à la campagne de glace, n’a pas fui après la victoire des rouges et a travaillé dans des journaux qui ont ensuite été purgés sous le régime stalinien, avant d’écrire des drames avec des éléments de conte de fées. Parmi ses œuvres les plus importantes, on retrouve la trilogie des tyrans : « Le roi nu », « L’ombre » et « Le dragon », écrites avant 1944, avant de signer « Le miracle ordinaire » dans les années 50. « Aucune de ces pièces n’a été montée de son vivant », a précisé Gokpo, expliquant que Schwartz survivait tout de même en écrivant des pièces moins subversives dans le style du « réalisme socialiste », même si ce sont ses contes de fées qui lui ont donné « un passeport pour l’éternité ». Schwartz s’est également essayé au cinéma, réalisant « Cendrillon » en 1947, tourné dans les ruines de Leningrad, où il avait combattu, et « La reine des neiges », qui ont influencé Walt Disney.
Evgueni Schwartz, considéré comme un auteur subversif et souvent repris par les opposants à Poutine, critiquait fréquemment les totalitarismes. Sa pièce « Le roi nu » était une critique du nazisme, bien que le régime soviétique y ait vu une critique du stalinisme, ce qui a valu d’être interdite jusqu’en 1960. Elle raconte l’histoire d’Henry, un garçon porcher amoureux de la princesse Henriette, que son père veut marier avec le roi d’un royaume voisin. Henry tente de contrecarrer ce projet par un subterfuge. Avec son ami Christian, ils se font passer pour des tisserands capables de confectionner un habit de prestige qui n’est visible que par des personnes intelligentes. Ils piègent ainsi le roi, qui se montre nu devant tous ses sujets le jour de son mariage avec Henriette. Alors que tout le monde faisait mine de voir son costume pour ne pas passer pour des imbéciles, un jeune garçon intelligent dénonce la supercherie en criant que le roi est nu, et tout le monde se retourne alors contre lui.

Après la représentation, nous nous sommes entretenus avec Léo, qui interprétait le roi nu. Ce jeune réfugié ukrainien nous a parlé de sa cohabitation avec les Russes au sein du Club Lycorn. « La guerre pose des problèmes, mais on reste aimables entre nous », nous a-t-il expliqué.
Anne Eugénie Sabatier, professeur de français à l’Alliance Française de Lyon, nous a indiqué que « Russes et Ukrainiens ont le même socle culturel et nous souhaitons montrer que les gens qui partagent des valeurs humanistes peuvent communiquer même si leurs pays sont en état de guerre ».