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Shiro Ishii. Photo : @Masao Takezawa

Japon : L’unité 731 de Shirō Ishii, l’autre barbarie impunie de la Seconde Guerre mondiale

Vivisections, bombardements bactériologiques, cobayes humains : le général japonais Shirō Ishii a orchestré des crimes de guerre d’une ampleur inégalée. Protégé par les États-Unis, il n’a jamais été jugé.

Tandis que les procès de Nuremberg ont jugé certains crimes nazis, d’autres atrocités de la Seconde Guerre mondiale sont restées dans l’ombre. C’est le cas de l’unité 731, dirigée par Shirō Ishii, général japonais, médecin militaire, et cerveau d’un des programmes de guerre biologique les plus inhumains jamais conçus. Entre vivisections sans anesthésie, contaminations de villages entiers, expérimentations sur femmes et enfants, les exactions de cette unité restent encore aujourd’hui partiellement niées par les autorités japonaises.

Un médecin brillant devenu bourreau

Né en 1892 à Shibayama, Shirō Ishii grandit dans une famille aisée et entre à l’université impériale de Kyoto où il obtient un doctorat en microbiologie. Ambitieux, ultra-nationaliste et membre de plusieurs sociétés secrètes influentes dans les milieux militaires, il rejoint rapidement l’armée impériale et monte en grade grâce à ses liens avec des figures influentes du pouvoir militaire, notamment l’ex-général chirurgien de l’armée et ex-ministre de la santé, Koizumi Chikahiko, qui lui obtient le poste de professeur d’Immunologie à l’Université médicale militaire de Tokyo, l’école médicale militaire la plus prestigieuse du Japon.

C’est après un séjour en Europe et aux États-Unis, où il étudie les armes chimiques de la Première Guerre mondiale, qu’il se convainc du potentiel stratégique des armes bactériologiques, malgré leur interdiction par le Protocole de Genève de 1925. Face à l’infériorité du Japon en matière de population et de capacités industrielles comparée aux États-Unis et à l’URSS, les armes bactériologiques furent, en effet, perçues comme un moyen stratégique de renverser le déséquilibre des forces.

L’unité 731 : laboratoire de la mort à ciel ouvert

En 1932, il fonde une première base secrète à Harbin, en Mandchourie, qui deviendra le cœur d’un réseau de centres d’expérimentation humaine : vivisections, expositions au gel, inoculations de peste, choléra ou anthrax. L’unité est officiellement nommée « Administration de fourniture d’eau et de prophylaxie », mais elle mène en réalité des recherches massives sur la guerre bactériologique, avec le soutien tacite de l’empereur Hirohito.

Les bûches humaines de l’unité 731

Dans les couloirs secrets de l’unité 731, les victimes n’avaient plus de nom. On les appelait « marutas », ce qui signifie « bûches » en japonais — une sinistre métaphore qui les réduisait à de simples matériaux pour la science de la guerre. Ces cobayes humains étaient majoritairement des civils chinois et mandchous, capturés dans les provinces occupées. Mais à leurs côtés, se trouvaient aussi des prisonniers de guerre venus d’ailleurs : Soviétiques, Coréens, Mongols… et selon certaines sources, même des soldats américains et britanniques. Tous enfermés dans l’oubli, destinés à mourir au nom de l’expérimentation.

La science pervertie

Au sein de ces laboratoires d’Ishii, la médecine n’était plus un art de guérison, mais un instrument de torture. On pratiquait des vivisections à vif, sans anesthésie : des corps ouverts tandis que les cœurs battaient encore, pour observer la progression des maladies en temps réel. Ailleurs, dans le froid glacial de Mandchourie, des membres étaient plongés dans la glace jusqu’à ce que la chair noircisse et tombe en lambeaux — des tests ignobles visant à mesurer la résistance du corps humain à l’engelure.

La guerre dans les corps

La barbarie ne s’arrêtait pas aux laboratoires. Dans certaines cellules, des femmes étaient contraintes à la prostitution forcée. Violées systématiquement, elles devenaient les vecteurs involontaires d’études sur la transmission des maladies vénériennes. La guerre bactériologique, elle, ne se limitait pas aux individus. Elle frappait les villages entiers. Des puces porteuses de peste étaient larguées du ciel, des bombes disséminaient le choléra, l’eau et les vivres étaient souillés par l’anthrax, la typhoïde ou la dysenterie. La terre elle-même devenait poison.

Une hécatombe silencieuse

Le bilan est effroyable. Selon l’historien Sheldon Harris, entre 3 000 et 12 000 personnes ont péri dans les laboratoires secrets de l’unité 731. Mais si l’on prend en compte les conséquences des campagnes de guerre bactériologique menées contre les populations civiles, ce chiffre grimpe jusqu’à 250 000 morts en Chine, selon plusieurs spécialistes. Des vies effacées, des douleurs niées, ensevelies dans le silence de la défaite.

Une attaque biologique prévue contre les États-Unis

Fin mars 1945, Ishii planifie l’opération « Cerisiers en fleurs dans la nuit », une attaque contre San Diego avec des sous-marins larguant des insectes infectés par la peste. Le projet n’est pas mené à terme en raison de la capitulation japonaise.

La destruction des preuves et l’immunité américaine

En août 1945, face à l’avancée soviétique, Ishii ordonne la destruction du complexe de Pingfang, l’exécution des derniers prisonniers, et l’évacuation de ses équipes. Il se cache puis est arrêté par les Américains en 1946. Mais contrairement aux espérances soviétiques, il ne sera jamais jugé.

Au lieu de cela, les États-Unis négocient un accord secret : en échange des données scientifiques issues des expériences, Ishii bénéficie d’une immunité totale. Il reçoit même une allocation à vie, tout comme les membres de son équipe.

Des membres de l’unité 731 dans

Certains anciens scientifiques de l’unité 731 contribuèrent même au développement de l’industrie pharmaceutique japonaise moderne. Masaji Kitano et Ryōichi Naitō ont joué des rôles clés dans la fondation de la société pharmaceutique Green Cross, spécialisée initialement dans la banque du sang, qui a ensuite évolué pour devenir Welfide et a été intégrée à Mitsubishi Pharma en 2001. Green Cross est à l’origine de plusieurs scandales sanitaires, notamment celui du sang contaminé par le VIH dans les années 1980. Kitano a aussi été directeur de l’Institut national de la santé au Japon, ce qui montre le niveau d’intégration de ces anciens militaires dans les structures d’après-guerre.

Un silence organisé, une mémoire étouffée

Longtemps, les crimes de l’unité 731 ont été effacés des livres d’histoire japonais. Encore aujourd’hui, une partie de l’opinion publique ignore ou minimise leur existence. Il faudra attendre 1981, avec l’ouvrage choc de Seiichi Morimura Unité 731, pour que le grand public commence à découvrir l’horreur.

En 2002, une cour japonaise reconnaît l’implication de l’unité 731 dans la guerre bactériologique, mais refuse toute réparation. En parallèle, les lieux de mémoire se multiplient, notamment à Pingfang où a été construit un musée.

Shirō Ishii : l’autre Mengele

Comme Josef Mengele, Ishii incarne la médecine dévoyée. Mais à la différence du médecin nazi traqué jusqu’à sa mort, Shirō Ishii meurt paisiblement chez lui à Tokyo en 1959, des suites d’un cancer, sans jamais avoir été inquiété.

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