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Jean-Pierre Filiu en 2015. Photo : @Pamputt

Israël-Iran : la chronique de Jean-Pierre Filiu qui rappelle l’époque où Téhéran et Tel-Aviv étaient alliés

Dans une tribune publiée le 22 juin 2025 dans Le Monde, l’historien Jean-Pierre Filiu rappelle un pan méconnu des relations israélo-iraniennes : les alliances passées entre les deux pays, y compris après la révolution islamique. Un éclairage historique qui nuance les logiques d’affrontement actuelles.

Alors qu’Israël a déclenché le 13 juin l’opération militaire « Rising Lion » contre l’Iran, avec en toile de fond la volonté affichée de renverser la République islamique, Jean-Pierre Filiu, historien et professeur à Sciences Po, propose dans Le Monde une relecture saisissante de l’histoire commune entre les deux puissances ennemies. Dans sa chronique, il souligne que non seulement Israël a été un partenaire stratégique du régime du chah jusqu’en 1979, mais qu’il a aussi soutenu, en toute discrétion, le régime islamique de l’ayatollah Khomeyni face à l’Irak de Saddam Hussein.

Un partenariat de revers face au monde arabe

Tout commence bien avant la révolution islamique. Dès les années 1950, le chah Mohammed Reza Pahlavi reconnaît de facto Israël, officialisant cette reconnaissance en 1960. À cette époque, le fondateur de l’État hébreu, David Ben Gourion, développe avec Téhéran une « alliance de revers » contre les pays arabes, en pleine guerre froide. Israël transfère alors savoir-faire militaire en échange de pétrole iranien, tandis que le chah ambitionne de devenir le « gendarme du Golfe ».

Cette coopération se renforce après la visite de Ben Gourion à Téhéran en 1961, malgré les critiques du monde musulman. La révolution islamique de 1979 semble briser cette alliance, surtout après que Khomeyni remet l’ambassade d’Israël à l’OLP et accueille Yasser Arafat en héros. Mais la rupture n’est pas si nette qu’il y paraît.

L’ennemi de mon ennemi : un soutien discret à l’Iran de Khomeyni

Dès 1980, Saddam Hussein lance une guerre contre l’Iran avec l’objectif de faire tomber le régime islamique. En réponse, Israël, dirigé alors par Menahem Begin, choisit de soutenir en coulisses l’Iran des ayatollahs, bien que ceux-ci appellent publiquement à la destruction d’Israël. Pour Tel-Aviv, l’objectif est clair : affaiblir l’armée irakienne, la plus puissante du monde arabe.

Ce soutien se traduit par des livraisons clandestines de pièces détachées pour l’armée iranienne — largement équipée de matériel américain — via des circuits secrets. Un avion s’écrase même en Arménie soviétique en 1981, révélant l’ampleur de ces échanges. En retour, l’Iran continue d’exporter discrètement du pétrole vers Israël et autorise deux tiers de sa population juive à émigrer.

Les deux pays convergent également sur le dossier nucléaire : après l’échec d’un raid iranien contre la centrale irakienne d’Osirak en 1980, c’est Israël qui la détruit l’année suivante.

De l’OLP au Hezbollah : une stratégie qui se retourne

Lorsque l’Iran passe à l’offensive en 1982 en envahissant l’Irak, Israël intervient de son côté au Liban pour en finir avec l’OLP. Begin, qui ne cache pas son hostilité viscérale au nationalisme palestinien, se félicite alors d’une « convergence » d’intérêts avec l’Iran. Ironie de l’histoire : l’expulsion de l’OLP du Liban favorise l’émergence du Hezbollah, organisation chiite pro-iranienne qui deviendra l’un des adversaires les plus redoutables de l’État hébreu.

Pour Jean-Pierre Filiu, cette relecture historique est essentielle pour comprendre les dynamiques régionales actuelles. La volonté de Benyamin Nétanyahou de faire tomber le régime des ayatollahs pourrait, comme en 1980, produire un effet inverse : celui d’une « union sacrée » en Iran, renforçant le régime face à la menace extérieure.

Une mémoire stratégique pour éviter les pièges du passé

La chronique se conclut sur une mise en garde implicite : en revendiquant aujourd’hui l’héritage de Begin, Nétanyahou rejoue un scénario dont les conséquences pourraient à nouveau échapper à Israël. À l’heure où le Moyen-Orient est sur le fil du rasoir, le rappel par Filiu de cette alliance paradoxale entre Israël et la République islamique d’Iran souligne l’instabilité des lignes géopolitiques — et la dangerosité des paris idéologiques.

Source : Le Monde.

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