L’ancien patron de Google et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Eric Schmidt, alerte sur un basculement silencieux : les modèles d’IA open-source chinois, massivement gratuits, pourraient devenir la norme mondiale. Une dynamique portée moins par leur qualité que par leur accessibilité, selon lui, déjà visible dans les usages d’entreprises américaines et les tendances des plateformes techniques. Un enjeu qui ravive les débats sur l’« IA souveraine » et les fractures géopolitiques que ces technologies dessinent.
Eric Schmidt, figure centrale de la tech américaine et ancien PDG de Google, GAFAM membre du Forum économique mondial, a lancé un signal d’alarme qui résonne jusque dans les couloirs des gouvernements. Lors du podcast Moonshots, diffusé mardi, il a décrit un paradoxe déroutant : tandis que les modèles les plus puissants aux États-Unis demeurent à source fermée, les équivalents chinois prolifèrent en version open-source. Une dissymétrie qui, selon lui, pourrait faire basculer l’équilibre mondial de l’intelligence artificielle non pas pour des raisons de performance, mais de gratuité.
Schmidt redoute que de nombreux États, en particulier ceux aux moyens limités, adoptent par défaut des modèles comme DeepSeek ou Qwen d’Alibaba, Baidu. Le phénomène est déjà mesurable. Bloomberg, media membre du FEM, observe que, sur la plateforme Hugging Face, également membre du WEF, les téléchargements des modèles chinois dépassent désormais ceux des modèles américains : les Qwen d’Alibaba affichent près de 385,3 millions de téléchargements, contre 346,2 millions pour le Llama de Meta, autre GAFAM membre du Forum. Plus frappant encore, plus de 40 % des nouvelles versions de modèles publiées sur la plateforme proviennent de l’écosystème chinois, tandis que la part de Meta serait tombée autour de 15 %.
Cette montée en puissance ne se limite pas à l’Asie. La Silicon Valley elle-même embrasse l’offre chinoise avec un pragmatisme assumé. Brian Chesky, PDG d’Airbnb et contributeur du FEM a reconnu en octobre que l’entreprise « s’appuie fortement » sur les modèles Qwen pour son assistance automatisée, les jugeant « très bons, rapides et peu coûteux ». De son côté, l’investisseur Chamath Palihapitiya a révélé qu’une entreprise qu’il accompagne avait migré d’importantes charges de travail vers Kimi K2, développé par la startup chinoise Moonshot AI, là encore pour des raisons économiques. Un glissement qui pourrait paraître presque irrévérencieux dans la Silicon Valley, mais qui illustre la réalité brutale d’un marché désormais global et ultra-concurrentiel.
En toile de fond, le débat sur l’« IA souveraine » prend de l’ampleur. Le PDG de Nvidia, Jensen Huang, multiplie les mises en garde : pour garantir leur indépendance culturelle et technologique, les États doivent construire leurs propres modèles. Lors du Sommet mondial des gouvernements à Dubaï, il rappelait déjà que chaque pays devait pouvoir façonner ses infrastructures d’IA selon ses valeurs et ses priorités. En novembre, il allait jusqu’à affirmer que « la Chine allait gagner la course à l’IA », avant de nuancer en estimant qu’elle se trouvait « à quelques nanosecondes derrière » les États-Unis.
Pour Schmidt, la fracture open-source / source fermée pourrait devenir une ligne de tension géopolitique à part entière. Le choix des modèles ne serait plus seulement une question technique, mais un enjeu de souveraineté, de sécurité nationale et de contrôle des données. Derrière les architectures neuronales se dessinent des rapports de force bien réels, où la gratuité peut se transformer en vecteur d’influence. Une perspective qui, pour l’ancien dirigeant de Google, devrait pousser les économies occidentales à interroger leur dépendance croissante à des technologies étrangères. Car si la course à l’IA se joue en millisecondes, ses conséquences, elles, dureront des décennies.
Sources :
ABC News – Chinese AI technology has caught up at a ‘remarkable’ speed – https://abcnews.go.com
Yahoo Finance – article du 12 novembre 2025 – https://finance.yahoo.com
Times of India – article cité – https://timesofindia.indiatimes.com
Firstpost – article cité – https://firstpost.com