À l’issue du premier tour de l’élection présidentielle roumaine, le candidat nationaliste George Simion a réalisé une percée inattendue dans les bureaux de vote à l’étranger. En Italie, où réside la plus importante communauté roumaine expatriée, environ 70 % des électeurs ont accordé leur voix au chef du parti AUR (Alliance pour l’union des Roumains), pourtant classé à l’extrême droite de l’échiquier politique.
Ce résultat massif interpelle, mais il s’inscrit dans une dynamique de rejet profond des partis traditionnels par une partie de la diaspora roumaine. Parmi les plus de 1,2 million de Roumains vivant en Italie, nombreux sont ceux qui éprouvent un sentiment de marginalisation dans leur pays d’origine comme dans leur pays d’accueil. Leur choix électoral s’apparente ainsi autant à un vote d’adhésion qu’à un cri de défiance. George Simion, en incarnant un nationalisme assumé et un discours anti-élites, a su capter cette colère.
Un rejet profond des politiques post-1989
Depuis la chute du régime communiste, la Roumanie a connu une alternance de gouvernements issus des grandes formations politiques traditionnelles. Or, pour les expatriés installés en Italie, cette transition démocratique n’a pas tenu ses promesses. Le fossé économique entre la Roumanie et l’Europe occidentale a favorisé des décennies d’émigration. Beaucoup perçoivent cette mobilité forcée comme un échec direct des dirigeants roumains, incapables d’enrayer la pauvreté ou de créer des perspectives d’avenir.
Ce ressentiment est intensifié par le vécu difficile de nombreux Roumains en Italie, victimes de discriminations, de précarité ou cantonnés aux emplois subalternes. Dans ce contexte, George Simion apparaît comme une figure qui parle leur langue, condamne les « profiteurs du système » et promet une Roumanie fière, indépendante et plus proche de sa diaspora.
La crise politique
La situation politique en Roumanie est particulièrement tendue après l’annulation du premier tour de l’élection présidentielle en décembre 2024. Ce scrutin avait vu l’émergence de Georgescu, jusque-là relativement inconnu, comme une figure montante de l’extrême droite, notamment en raison de ses positions prorusses. La Cour constitutionnelle, en annulant ce vote, a soulevé des soupçons d’ingérence de la Russie, notamment à travers des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, dont la plateforme TikTok. Le président roumain Klaus Iohannis était resté en poste avant d’annoncer se retirer le 10 février dernier, alors qu’il était visé par une procédure. La candidature de Călin Georgescu a ensuite été invalidé, ce qui a suscité d’importants mouvements de protestations en Roumanie au profit des souverainistes dont Simion fait partie.
Un discours calibré pour séduire les expatriés
La progression de George Simion dans les intentions de vote à l’étranger est le fruit d’une stratégie très ciblée. Le candidat de l’AUR a multiplié les déplacements à l’étranger, en particulier en Italie, où il a organisé réunions publiques et campagnes sur les réseaux sociaux. Il y a mis en avant des messages patriotiques, religieux et directs, en promettant de défendre les intérêts des Roumains « méprisés » hors des frontières. Ses attaques contre les élites politiques et ses appels à refonder l’État sur des bases dites « saines » y ont trouvé un écho favorable.
Ce positionnement tranche avec celui des partis traditionnels, peu présents auprès de la diaspora ou perçus comme distants. Ce lien direct avec les électeurs, assorti d’un langage simple et d’une présence médiatique soutenue, a favorisé une adhésion émotionnelle que les autres candidats n’ont pas su susciter.
Un vote qui interroge sur le rôle politique de la diaspora
Ce score historique en Italie soulève des questions plus larges sur l’influence croissante de la diaspora roumaine dans les affaires intérieures. Représentant près de 15 % du corps électoral, les Roumains de l’étranger deviennent décisifs dans certains scrutins. Leur vote majoritairement conservateur, souvent critique vis-à-vis des alliances progressistes, façonne désormais le paysage politique roumain.
En choisissant massivement George Simion, une partie de la diaspora ne cherche pas seulement à participer au débat national : elle cherche à le transformer. Leurs conditions de vie à l’extérieur et leur regard distancié sur la Roumanie alimentent une lecture plus tranchée de la politique nationale. Cette dynamique, si elle se poursuit au second tour, pourrait bien bousculer les équilibres traditionnels de la scène politique roumaine.
La forte mobilisation en Italie témoigne aussi d’une volonté de retrouver une voix politique après des années de rétention. C’est ce que propose George Simion à ses électeurs de l’étranger : la promesse d’un pays qui les respecte et les inclut véritablement. Une promesse dont la portée réelle reste à évaluer sur le terrain, mais qui, en attendant, a produit un séisme électoral tangible.
Source : Le Monde.