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Alexander Stubb : Photo : @Francesco Ammendola

Finlande : Alexander Stubb explique « comment instaurer un nouvel ordre mondial avant qu’il ne soit trop tard »

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Dans une longue tribune publiée le 2 décembre dernier dans Foreign Affairs, la revue du Council on Foreign Relations, plus ancien et plus puissant think tank américain, le président finlandais et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Alexander Stubb analyse les bouleversements géopolitiques en cours et avertit que les cinq à dix prochaines années détermineront l’ordre mondial du XXIᵉ siècle. Face à la montée du Sud global, à la rivalité sino-américaine et à l’érosion du multilatéralisme, il appelle l’Occident à renouer avec un « réalisme fondé sur les valeurs » pour éviter un monde dominé par le chaos ou la loi du plus fort.

Pour Alexander Stubb, la rupture est consommée : le monde a davantage changé ces quatre dernières années qu’au cours des trois décennies précédentes. Les conflits s’accumulent, les démocraties reculent et l’ordre international libéral, hérité de 1945, décline sous les coups conjoints des crises géopolitiques, économiques et technologiques. La grille de lecture qui prévalait depuis la fin de la guerre froide – un monde guidé par la coopération multilatérale et par la prééminence occidentale – ne tient plus. Le président finlandais voit émerger une nouvelle compétition triangulaire entre un « Occident global », un « Orient global » articulé autour de la Chine et un « Sud global » devenu l’arbitre décisif du prochain ordre international.

Dans ce paysage fragmenté, Stubb avance une thèse simple : le monde glisse du multilatéralisme vers la multipolarité. Là où règles communes et institutions garantissaient une forme de stabilité, s’installe désormais une logique d’alliances opportunistes, de transactions bilatérales et de rapports de force mouvants. La Chine et les États-Unis structurent cette rivalité, mais les puissances moyennes – du Brésil à l’Inde, du Nigeria à l’Arabie saoudite – occupent une place nouvelle, capables de basculer un équilibre global encore indéterminé. À ses yeux, il s’agit d’une transformation systémique comparable aux ruptures de 1918, 1945 ou 1989.

Le dirigeant finlandais insiste sur le rôle central que jouera le Sud global. Représentant la majorité de la population mondiale, composé d’États aux trajectoires diverses mais unis par une revendication de reconnaissance politique, ce bloc détient, selon lui, le « vote décisif » dans la compétition qui s’annonce. L’Occident comme l’Orient cherchent à attirer ces puissances intermédiaires, mais aucun investissement ni aucun discours ne suffira sans une véritable redistribution de la parole et du pouvoir. Pour Stubb, il est illusoire de croire que les valeurs occidentales, brandies seules, permettront de convaincre : il faudra aussi partager la gouvernance, financer le développement et coopérer sur un pied d’égalité.

À cette nécessité extérieure répond une introspection occidentale. L’auteur retrace les illusions qui ont marqué l’après-guerre froide, du triomphe supposé du libéralisme à la croyance dans une démocratisation inéluctable de la Russie ou de la Chine. Le tournant du 11-Septembre, les guerres d’Afghanistan et d’Irak, la crise financière de 2008 puis l’ascension fulgurante de la Chine ont fissuré ce récit. L’agression russe en Ukraine en 2022 en constitue l’acte final : une violation flagrante des règles internationales par un membre permanent du Conseil de sécurité, symbole, pour Stubb, de l’effondrement moral et institutionnel du système prévu en 1945.

Ces constats nourrissent sa doctrine du « réalisme fondé sur les valeurs ». Ce concept, forgé par l’expérience historique de la Finlande – un petit État pris entre souveraineté, intégrité territoriale et pressions d’un voisin impérial – mêle défense ferme des principes universels et reconnaissance des contraintes stratégiques. Stubb assume que les États doivent parfois faire des compromis pour préserver leur sécurité, mais que ces ajustements ne doivent jamais conduire à renoncer aux droits fondamentaux, à la démocratie ou à l’État de droit. Sa critique de la « finlandisation » comme solution pour l’Ukraine s’inscrit dans cette ligne : la paix ne peut reposer sur l’abandon de la souveraineté.

Cette réflexion se prolonge par trois scénarios sur l’avenir de l’ordre mondial. Le premier, celui d’un désordre durable, verrait le système actuel s’effriter sans s’effondrer totalement, laissant des conflits non résolus et un multilatéralisme résiduel. Le deuxième, plus sombre, entraînerait l’extinction pure et simple de l’ordre libéral : chaos, guerres élargies, retrait des institutions, domination des acteurs non étatiques. Le troisième, qu’il juge possible mais conditionnel, reposerait sur une nouvelle symétrie des pouvoirs entre Occident, Orient et Sud, permettant de contenir les rivalités et d’affronter les défis globaux – du climat aux technologies – par la coopération.

Pour réaliser ce troisième scénario, Stubb esquisse plusieurs pistes de réforme institutionnelle : élargir le Conseil de sécurité de l’ONU à l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine ; supprimer le droit de veto ; instaurer la possibilité de suspendre un membre violant la Charte des Nations unies ; moderniser l’Organisation mondiale du commerce pour sortir de l’impasse actuelle. Il reconnaît la difficulté de ces transformations, mais rappelle que les fondations mêmes des Nations unies sont nées d’idées autrefois jugées irréalistes.

Il en appelle enfin à une responsabilité particulière de l’Occident global, encore aujourd’hui coalition la plus puissante sur les plans économique et militaire. Sa survie dépendra de sa capacité à coopérer plutôt qu’à dominer, à écouter plutôt qu’à imposer. Les États-Unis conservent un rôle déterminant : leur volonté ou leur refus de soutenir l’ordre multilatéral réformé conditionnera l’équilibre global. Quant à la Chine, elle dispose de plusieurs options, de l’adaptation de l’ordre existant à la projection d’une puissance plus affirmée en Asie.

Pour Stubb, le choix est clair. Yalta, symbole d’un monde multipolaire fondé sur les sphères d’influence, ne doit pas se répéter. C’est Helsinki, synonyme de coopération multilatérale et de normes partagées, qui doit guider les décisions de la décennie à venir. Les grands comme les petits États seront comptables de ces choix. « C’est notre dernière chance », écrit-il dans un avertissement que l’on devine aussi philosophique que stratégique.

Sources :

Foreign Affairs.

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