Une vidéo publiée mi-novembre, dans laquelle six élus démocrates exhortent les soldats à refuser tout « ordre manifestement illégal », a déclenché une tempête politique et militaire outre-Atlantique. Accusations de sédition, enquête du Pentagone visant le sénateur Mark Kelly, soupçons d’ingérence politique dans les forces armées : l’Amérique se découvre au bord d’une crise civilo-militaire d’une intensité rare.
La scène, d’abord anodine, a pris des allures de séisme institutionnel. Le 18 novembre, six élus démocrates, anciens militaires ou professionnels du renseignement, se filment face caméra et rappellent, d’un ton mesuré, un principe élémentaire du droit américain : les soldats ont l’obligation de refuser un ordre illégal, même s’il émane du président. En d’autres temps, la vidéo serait passée inaperçue. Mais dans l’Amérique de 2025, marquée par une présidence encline à étendre sans réserve ses prérogatives en matière d’emploi de la force, ce rappel élémentaire a résonné comme un avertissement frontal.
Parmi les signataires figurent des figures aguerries de la sécurité nationale : Mark Kelly, sénateur de l’Arizona, ancien capitaine de la Navy et astronaute ; Elissa Slotkin, ex-analyste de la CIA et du Pentagone ; Jason Crow, ancien ranger ; Chris Deluzio et Chrissy Houlahan, issus respectivement de la Marine et de l’US Air Force ; Maggie Goodlander, ancienne juriste au Département de la Justice. Autrement dit, des vétérans parlant aux soldats, dans un moment où les tensions sur l’obéissance militaire se font plus visibles.
Ce message, présenté comme un rappel juridique, a été interprété comme un commentaire direct sur plusieurs décisions contestées de l’exécutif. D’un côté, des frappes menées dans la mer des Caraïbes contre de petites embarcations soupçonnées de trafic de drogue, jugées juridiquement douteuses. De l’autre, un projet d’emploi de forces de sécurité intérieure dans un cadre jugé anticonstitutionnel par un juge fédéral. La conjonction de ces signaux a transformé la vidéo en acte politique, un geste de désobéissance anticipée face à un pouvoir exécutif jugé trop expansif.
La réaction ne s’est pas fait attendre. Le 20 novembre, le contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Donald J. Trump a accusé les élus de « sédition », exige des poursuites pour trahison et martèle qu’aucun ordre illégal n’a jamais été donné. Aussitôt, le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, ordonna au secrétaire à la Marine une enquête visant Mark Kelly, au motif que ses propos pourraient affecter la « loyauté » des troupes. Le Pentagone a rappellé que le sénateur, en tant qu’ancien officier, demeure justiciable du Code de justice militaire et pourrait être rappelé sous l’uniforme pour passer en cour martiale, une mesure certes prévue par le droit mais quasiment jamais appliquée à un élu.
Cette enquête, officialisée le 24 novembre, a sidéré une partie de la classe politique américaine. Car si les juristes interrogés par la presse soulignent que les six élus ne font que rappeler une norme validée par la doctrine militaire américaine et internationale, la perspective de poursuites contre un membre du Congrès ouvre un front inédit : celui de la séparation des pouvoirs. La menace d’un rappel disciplinaire d’un sénateur en exercice, considéré comme une intimidation politique par Mark Kelly lui-même, fait planer l’ombre d’un affrontement constitutionnel que Washington n’avait plus connu depuis des générations.
L’épisode, devenu viral, expose au grand jour une réalité que beaucoup redoutaient : jamais depuis plusieurs décennies le principe d’obéissance militaire n’avait été autant placé au centre d’un bras de fer politique. Là où la vidéo voulait rappeler un devoir légal, elle a mis à nu une Amérique fracturée, où le fonctionnement même des institutions semble vaciller. Et où, à l’arrière-plan, se pose une question cruciale : que devient une démocratie lorsque ses soldats sont pris dans les turbulences du pouvoir civil ?
Sources :
Marianne – Article du 8 décembre 2025 – lien