L’injonction brutale du secrétaire à la Défense américain, Pete Hegseth, d’« éliminer » les occupants d’un bateau de trafiquants présumés, y compris des survivants désarmés, soulève un scandale d’ampleur à Washington. Révélée par le Washington Post, l’opération menée début septembre dans les eaux de Trinité-et-Tobago interroge la légalité des frappes et place l’administration Trump sous une pression politique et juridique croissante.
Le 2 septembre dernier, au large des côtes de Trinité-et-Tobago, les forces américaines identifient une embarcation qu’elles suspectent de transporter de la drogue. Une surveillance par drone s’organise, puis un premier tir de missile pulvérise le navire et déclenche un incendie violent. Mais dans les volutes de fumée, deux silhouettes apparaissent encore vivantes, cramponnées à l’épave carbonisée. C’est à cet instant que se cristallise une décision qui, selon plusieurs experts, pourrait entrer dans l’histoire judiciaire américaine.
Selon deux sources directement impliquées dans l’opération, le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, donne une instruction sans ambiguïté : « Tuez-les tous. » L’ordre, relayé par le commandant des forces spéciales en supervision depuis Fort Bragg, conduit à une seconde frappe. Les deux survivants, désarmés et incapables de se défendre, sont tués sur le coup. Cette séquence constitue la première opération létale de l’administration Trump dans sa nouvelle campagne contre les narcotrafiquants présumés, mais aussi la plus controversée.
La question de la légitimité de la cible s’est rapidement imposée. Les hommes à bord, même suspectés d’activité criminelle, ne représentaient aucune menace immédiate pour les États-Unis. Des juristes spécialisés en droit militaire rappellent qu’une telle frappe n’entre dans aucun cadre légal clair. Todd Huntley, ancien conseiller juridique des forces spéciales, estime que tuer des individus qui ne sont plus en mesure de se défendre « reviendrait à un ordre de ne faire aucun quartier », un acte prohibé par les conventions internationales et susceptible d’être qualifié de crime de guerre. L’expression, dans les couloirs du Pentagone comme au Congrès, n’est désormais plus taboue.
Face à l’onde de choc, l’amiral Frank M. « Mitch » Bradley a défendu la décision en assurant que les survivants restaient des « cibles légitimes », susceptibles, selon lui, de contacter d’autres membres de leur réseau pour récupérer la cargaison. Une justification jugée fragile par plusieurs élus. Car les documents remis à la Maison-Blanche insistent sur un objectif bien différent : couler le navire pour éviter tout risque ultérieur, et non éliminer des individus incapables de reprendre le combat.
Cet argumentaire n’a convaincu ni les démocrates ni certains républicains. Les sénateurs Roger Wicker et Jack Reed ont annoncé l’ouverture d’une surveillance parlementaire approfondie afin d’établir les faits. À la Chambre, le représentant Seth Moulton, informé lors d’un briefing confidentiel, ne cache pas sa stupéfaction. Considérer une épave isolée au milieu de l’océan comme une menace pour la navigation « est totalement absurde », affirme-t-il, ajoutant que « tuer les survivants est un acte manifestement illégal ». Il va jusqu’à prédire que des poursuites suivront, qu’il s’agisse de crimes de guerre ou de meurtre.
La communication du Pentagone n’a rien arrangé. Incapables de fournir le moindre nom précis de trafiquants ou de chefs de réseau prétendument visés, les responsables militaires peinent à étayer les déclarations de Pete Hegseth, qui assurait savoir « exactement qui se trouvait à bord ». L’administration Trump, elle, évoque des membres du gang vénézuélien Tren de Aragua, sans apporter la moindre preuve publique de cette identification. Une accusation qui, en l’absence de données vérifiables, reste fragile et ne suffit pas à apaiser les interrogations.
Alors que le secrétaire à la Défense revendique des « frappes très efficaces » et promet que les opérations contre les « narcoterroristes » ne font que commencer, le climat autour de cette affaire se charge d’électricité politique. L’ombre d’un scandale international plane sur Washington, et la résistance de Pete Hegseth à ces soupçons de crime de guerre pourrait ne pas durer éternellement.
Sources :
Le Washington Post – Article cité du 01/12/2025 – https://www.washingtonpost.com
L’Obs – Article original de Thomas Graindorge (01/12/2025) – https://www.nouvelobs.com