Dans un entretien inédit, Nicolas Lerner, directeur général de la DGSE, révèle les coulisses des services secrets français, leurs méthodes, leurs priorités stratégiques et la réalité des menaces actuelles, de la Russie à l’islamisme radical. Un éclairage rare sur un monde où la discrétion absolue reste la règle.
C’est une première dans l’histoire du renseignement français : Nicolas Lerner, directeur général de la DGSE, a accepté d’ouvrir les portes de son service pour un entretien télévisé exceptionnel accordé ç Darius Rochebin pour LCI. À la tête de 7 500 agents, il compare la DGSE aux grandes agences comme la CIA, le MI6 ou le Mossad, tout en soulignant le « modèle intégré » français, réunissant espionnage humain, renseignement technique et opérations clandestines.
Depuis 2017, les moyens de la DGSE ont été fortement renforcés, avec plus de 1 100 agents supplémentaires et encore 500 recrutements prévus d’ici la fin de la loi de programmation militaire. Les budgets restent confidentiels, mais le service monte en puissance face à une géopolitique toujours plus instable. Selon Nicolas Lerner, « la Russie constitue aujourd’hui une menace existentielle pour l’Europe ». Il décrit l’idéologie du Kremlin, mêlant sentiment d’encerclement par les démocraties et nostalgie impériale, comme un terreau justifiant potentiellement une intervention militaire future, y compris contre l’OTAN.
Interrogé sur les ingérences russes, le chef du renseignement extérieur confirme des « tentatives d’achats d’influence » en Europe et en France. Selon lui, la Russie mène des opérations numériques massives, notamment en Afrique, couplées à des actions physiques par des intermédiaires rémunérés. Il cite un cas français où un agent a été payé pendant plus de dix ans, deux à trois fois le salaire médian, pour fournir des informations. « Ces affaires existent, et certaines sources sont parfois retournées pour devenir agents doubles », confie-t-il.
Mais les ingérences ne sont pas le monopole de la Russie, comme l’a souligné Robebin rappelant que les américains et les qatari aussi monnayaient les services. Interrogé sur l’installation américaine qui espionnerait Paris, Lerner a admis qu’«Au-dessus de la Concorde il y a en effet une installation qui interroge, vous comprendrez que je n’en dise pas beaucoup plus.»
La DGSE, qui opère sous strict cadre légal depuis 2015, comme Lerner, aime le rappelé, veillerait à ses propres vulnérabilités. Les salles stratégiques, interdites aux téléphones, sont régulièrement « dépoussiérées » contre tout dispositif d’écoute, précise-t-il. Lerner confirme que l’échange d’informations stratégiques se fait souvent à l’oral, loin des messageries commerciales, même chiffrées. À propos de la surveillance de masse, il nuance : « Nous sommes loin d’une vision totale de la société française. Le risque est plutôt celui d’une masse de données impossible à exploiter. »
L’entretien révèle aussi la complexité du recrutement d’agents. Un bon espion, selon Lerner, doit être « malin, curieux, prudent, modeste et manipulateur », capable d’exploiter les failles humaines – sexe, argent, idéologie ou égo – pour recruter des sources. À la DGSE, la moindre vulnérabilité, notamment sentimentale, peut conduire à l’exclusion du service pour éviter tout risque.
Sur le plan opérationnel, Nicolas Lerner confirme que la France, comme d’autres démocraties, a recours à des « entraves physiques » dans un cadre légal strict, notamment contre les djihadistes en situation de guerre. Il insiste toutefois sur la primauté de la diplomatie : « Un service de renseignement agit au service d’une fin qui doit être politique. »
Enfin, il évoque l’impact psychologique de la fonction. La paranoïa est une qualité indispensable, dit-il, mais elle ne doit pas occulter la confiance envers les 7 500 hommes et femmes qui œuvrent dans l’ombre. « Ce que je retiendrai de ces années, c’est leur dévouement exceptionnel au service de la République. »
Source : Entretien télévisé exceptionnel de Nicolas Lerner, directeur général de la DGSE, juillet 2025.