Lors du 107ᵉ Congrès des maires, Fabien Mandon a livré un discours d’une rare gravité, exhortant les élus locaux à préparer la population à un monde « en risque », selon Maire de France, le magazine officiel de l’Association des maires de France (AMF). Face à la montée des tensions internationales et à la perspective d’une confrontation avec la Russie d’ici 2030, il appelle à un effort national, moral et logistique.
L’ambiance était déjà chargée au 107ᵉ Congrès des maires, entre hommages, inquiétudes budgétaires et alertes sur les violences contre les élus. Mais le silence s’est épaissi lorsque Fabien Mandon, chef d’état-major des armées, est monté à la tribune. Devant des centaines de maires souvent pris de court, il a tenu un discours sans détour, décrivant une situation internationale « particulièrement grave » et un équilibre géopolitique qui « se dégrade ». Son message, plus direct que ce qu’autorisent habituellement ces rendez-vous institutionnels, a frappé durablement l’assemblée.
Selon lui, le monde entre dans une décennie de basculements. Les États-Unis se désengagent progressivement de la sécurité européenne pour se concentrer sur l’Asie, tandis que la Chine s’impose comme une puissance militaire mature, dotée selon lui, « de ce qu’il y a de mieux au monde ». D’après le militaire, le Pentagone anticiperait même une invasion de Taïwan par Pékin dès 2027, qui entraînerait immanquablement une confrontation avec Washington. En Europe, la Russie, déjà engagée dans une guerre prolongée en Ukraine, préparerait une « confrontation pour 2030 » avec les pays de l’Otan. À ces fronts géopolitiques s’ajoutent l’instabilité du Sahara, la montée en puissance de groupes terroristes en Afrique, et l’extension de la guerre au Proche-Orient depuis les attentats du 7 octobre contre Israël, nécessitant des interventions françaises jusqu’aux abords du Yémen pour sécuriser les routes maritimes.
Face à ce panorama, Fabien Mandon refuse l’euphémisme. « Le portrait est très noir, et je crois qu’il faut le dire », a-t-il insisté, dénonçant une perception russe d’Européens « faibles ». Il estime au contraire que le continent est « fondamentalement plus fort » que son adversaire potentiel, à condition d’accepter la réalité d’un monde conflictuel et l’usage possible de la force. La France, dit-il, possède les compétences techniques pour produire des équipements d’excellence, notamment dans le domaine des drones. Mais il manquerait une dimension plus intangible : « la force d’âme ».
C’est là que les mots du chef d’état-major deviennent les plus abrupts. « Il faut accepter de perdre nos enfants, de souffrir économiquement. » Une phrase qui a glacé une partie de l’auditoire. L’objectif affiché est clair : que le pays soit prêt « dans trois ou quatre ans » à démontrer sa capacité de résistance et de puissance, afin de dissuader la Russie de toute ambition offensive.
Pour y parvenir, Fabien Mandon sollicite directement les maires, qualifiés de « meilleurs relais » auprès des citoyens. L’armée compte aujourd’hui 200 000 militaires, l’équivalent d’environ cinq personnes par commune, et vise à doubler le nombre de réservistes pour atteindre 80 000. Les élus locaux sont appelés à soutenir cette montée en puissance, à faciliter l’installation des familles de soldats, à offrir des places en crèche, des logements, et à autoriser les entraînements ou grandes manœuvres indispensables à la préparation opérationnelle. « Nous avons besoin d’espaces », a-t-il insisté, demandant un « regard positif » sur ces actions.
À la sortie, les réactions étaient très diverses selon Maire de France. Certains maires, comme Joseph Segura à Saint-Laurent-du-Var, ont évoqué la nécessité d’informer la population, tout en questionnant leur légitimité à aborder des sujets aussi graves. D’autres, comme Isabelle Gautelier à Grigny, ont relevé une difficulté supplémentaire : comment répondre à ces demandes alors que policiers, gendarmes et pompiers affrontent les mêmes obstacles de logement et d’accueil des familles ? Le maire d’écran, Joël Balandraud, déjà engagé dans un projet de jumelage avec un régiment, soutient la démarche, tout en refusant d’annoncer à ses administrés qu’il faudrait « se préparer à perdre des enfants ».
Dans les Vosges, terre où l’histoire militaire laisse une empreinte profonde, Dominique Peduzzi a jugé le discours « courageux » et inédit. Il a souligné que la puissance d’une nation repose aussi sur le moral collectif, et que les maires sont désormais interpellés pour contribuer à cette prise de conscience. Une tâche « immense », selon lui, qui impliquera une réflexion au sein des communes et de l’Association des maires de France pour inventer les « bons vecteurs de communication ».
La salle est sortie secouée, comme si la guerre, longtemps perçue comme lointaine, venait de traverser la porte du Congrès. Les maires, gardiens du quotidien mais aussi de la mémoire nationale, devront désormais assumer un nouveau rôle dans un monde où la paix n’est plus un acquis.
Sources :
Maires de France – Article de Bénédicte Rallu – lien.