Dans une interview exclusive accordée à Esprit Défense, le général Fabien Mandon, nouveau chef d’état-major des armées, trace les lignes de sa stratégie : anticipation du risque d’un test militaire russe, consolidation des forces morales françaises et construction d’une Europe souveraine dans le domaine de la défense.

Nommé chef d’état-major des armées le 1er septembre 2025, le général Fabien Mandon a accordé à Esprit Défense son premier grand entretien. À l’heure où les tensions géopolitiques s’intensifient, il appelle la France et l’Europe à se préparer à un monde « plus dur, plus violent », où la guerre pourrait redevenir un horizon tangible.

« Être prêts à être testés durement »

Dès les premières lignes de l’entretien, le général Mandon pose le cadre : « Nous devons être prêts à être testés durement dans les prochaines années. » Selon lui, la Russie, engagée dans un effort de guerre total, pourrait chercher à tester la solidité du camp occidental d’ici trois ou quatre ans. « Si notre adversaire perçoit de la faiblesse, il poussera son avantage. S’il a un doute, il tentera sa chance. Et si nous sommes forts, il renoncera », prévient-il.

Cette perspective impose une montée en puissance rapide de l’outil de défense français : reconstitution des stocks de munitions, renforcement logistique, accroissement de la capacité de feu, et consolidation du soutien santé. Mais le général insiste sur un autre volet, moins visible et pourtant déterminant : les forces morales.

La guerre psychologique et la désinformation

Pour le chef des armées, la Russie a déjà engagé une guerre d’un nouveau genre : une guerre de perception. « Elle mène depuis plusieurs années de véritables manœuvres de déstabilisation par la désinformation », explique-t-il, évoquant la diffusion supposée d’informations anxiogènes et manipulées pour affaiblir la confiance dans les institutions.

Qu’il s’agisse de campagnes sur les réseaux sociaux, de rumeurs comme celles des « punaises de lit » ou d’incidents aériens à la frontière de l’Otan, ces actes traduisent selon lui une stratégie concertée : « La Russie prépare un terrain psychologique et politique favorable à ses intérêts. »

Europe, souveraineté et défense collective

Pour le général Mandon, l’Europe doit désormais devenir une puissance de défense à part entière. « Seuls, nous n’y arriverons pas. La bonne échelle, c’est l’Europe », affirme-t-il. Il appelle à renforcer le pilier européen de l’Otan tout en développant des capacités militaires communes.

Face à l’imprévisibilité croissante des États-Unis, il estime nécessaire de bâtir une Europe souveraine, capable d’assurer sa sécurité sans dépendre d’une autre puissance. « Les Européens doivent apprendre à compter sur eux-mêmes avant de demander de l’aide. Ce n’est pas qu’une question de temps, mais de volonté collective », déclare-t-il.

Le général Mandon évoque aussi la montée en puissance de l’industrie de défense européenne : « Nous avons sur notre continent des champions industriels et des start-up innovantes. Ce qui fera la différence, c’est la volonté politique de travailler entre Européens. »

La jeunesse, pilier moral et stratégique

Autre priorité du nouveau chef d’état-major : la jeunesse. Pour lui, le rôle des armées est aussi d’être « une forge morale », un lieu où les jeunes peuvent s’engager, comprendre la valeur du service et de la Nation. « Contrairement aux idées reçues, la jeunesse ne manque pas de force morale : elle s’engage », assure-t-il.

Le général Mandon insiste sur l’importance de développer la réserve et les dispositifs dédiés aux jeunes, qu’il considère comme des leviers essentiels de résilience. Il prône une transmission intergénérationnelle des valeurs de courage et de responsabilité : « Ceux qui auront à prendre des décisions difficiles demain devront s’appuyer sur la force morale héritée de leurs aînés. »

Le flanc sud et l’Indopacifique : une présence stratégique à maintenir

Si la Russie reste la menace prioritaire, le général n’en oublie pas pour autant les autres zones de tension. Il décrit un flanc sud fragmenté — Méditerranée, Afrique, Proche et Moyen-Orient — traversé par des crises multiples. La France, dit-il, doit y maintenir un rôle actif fondé sur le partenariat, la coopération et le respect mutuel.

Dans la région indo-pacifique, il souligne que la présence militaire française est « une réalité opérationnelle ». Plus de 7 000 militaires y sont déployés en permanence pour protéger les zones économiques exclusives françaises et garantir la souveraineté nationale face à la compétition sino-américaine.

Une Europe forte, une France résiliente

Face à la dégradation du contexte international, le général Mandon trace une ligne claire : lucidité, cohésion, souveraineté. « Nous devons être capables d’assurer seuls notre sécurité en Europe », insiste-t-il. « Ce n’est pas seulement un enjeu stratégique, c’est une exigence historique. »

Pour le chef d’état-major des armées, la clé de la victoire n’est pas seulement technologique ou matérielle, mais avant tout morale et collective : « Les citoyens font des efforts immenses pour leur défense. C’est normal que je fasse, moi, le double d’efforts pour leur apporter les bonnes réponses. »

Sources :
Esprit Défense – n°17, automne 2025 – Entretien exclusif avec le général Fabien Mandon, chef d’état-major des armées.