L’adoption du programme européen pour l’industrie de la défense marque une inflexion radicale vers une véritable économie de guerre. Sous couvert d’urgence stratégique, les eurodéputés ont ouvert la porte à des dérogations sociales majeures, dont l’allongement possible des journées de travail. Un vote qui fracture la gauche et cristallise la dénonciation d’une UE sacrifiant les droits sociaux au nom du réarmement.
À Strasbourg, le 25 novembre, c’est une forme d’enthousiasme guerrier qui a saisi le Parlement européen. Les eurodéputés ont adopté le programme Edip, premier instrument censé structurer une industrie de défense pleinement intégrée à l’échelle du continent. Une scène saisissante, où le social-démocrate, Raphaël Glucksmann, gendre du contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Ghassan Salamé et le conservateur François-Xavier Bellamy ont célébré, d’une même voix, le caractère « historique » de ce texte qui consacre explicitement la transition vers une économie de guerre européenne. À travers cette convergence inattendue, l’UE assume une bascule stratégique autant qu’idéologique.
L’argumentaire mobilisé par les rapporteurs repose sur la menace russe et l’incertitude américaine. Citant le chef du renseignement allemand Bruno Kahl, qui évoque le risque d’une invasion d’ici 2029, et le général français Fabien Mandon, appelant la société à « accepter de perdre ses enfants », Glucksmann a plaidé pour une Europe armée, souveraine et moins dépendante de Washington. Sa charge contre les « pseudo-pacifistes » de gauche tranche avec les prudences habituelles du Parlement. Le scrutin a scellé cette rupture : 457 voix pour, 148 contre, 33 abstentions.
Au cœur du dispositif figure une enveloppe de 1,5 milliard d’euros entre 2025 et 2027 destinée à soutenir l’industrie militaire européenne, avec l’obligation que 65 % des composants soient produits dans l’Union. Mais ce seuil, inchangé par rapport aux précédents programmes, ne garantit guère une réelle autonomie vis-à-vis des États-Unis. Des dérogations fiscales permettront en outre aux PME d’adapter leurs chaînes de production, dans ce que certains eurodéputés décrivent déjà comme un glissement assumé vers un fédéralisme industriel militaire. « Aucun État membre ne pourra mettre seul en œuvre une initiative », a tranché le commissaire et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Andrius Kubilius.
Pour les élus de La Gauche, ce tournant est synonyme d’un démantèlement silencieux des droits sociaux. L’eurodéputée allemande Özlem Demirel a rappelé que « les investissements dans la défense, c’est du capital mort ». Surtout, le mécanisme de crise contenu dans le rapport permettrait d’étendre la durée maximale de travail jusqu’à 13 heures par jour dans les industries concernées. Une disposition impossible à faire passer dans le droit commun, mais désormais rendue envisageable sous l’ombre de la militarisation. Demirel dénonce une offensive contre le droit du travail menée au moment même où « des dizaines de millions d’Européens sont menacés de pauvreté » et où les budgets sociaux se contractent.
Le ton est monté lorsque Marc Botenga, eurodéputé belge, a interpellé directement Glucksmann et les partisans du texte. Évoquant la réalité quotidienne des travailleurs des industries à risque — explosifs, produits toxiques, environnements instables — il a accusé les sociaux-démocrates d’une « trahison » en soutenant un dispositif qui expose les salariés à des conditions extrêmes au nom d’une économie de guerre présentée comme inévitable.
Glucksmann, d’abord déstabilisé, s’est ressaisi pour fustiger ceux qu’il accuse de « soumission » face à la Russie, entretenant au passage une confusion dangereuse entre gauche pacifiste et extrême droite.
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