Le ministère de l’Économie a estimé que quatre dispositifs fiscaux adoptés par les députés dans le cadre du budget 2026 contreviennent à la Constitution et au droit européen. Entre mise en garde juridique et tensions politiques, l’exécutif tente de reprendre la main sur une trajectoire budgétaire déjà chahutée. Le Sénat devra désormais trancher dans une navette parlementaire incertaine.
La charge est frontale. Jeudi, Bercy a averti que plusieurs mesures fiscales intégrées par l’Assemblée nationale au projet de loi de finances 2026 étaient « notoirement anticonstitutionnelles et inapplicables ». L’exécutif, déjà en délicatesse avec une majorité introuvable sur les sujets budgétaires, voit ainsi s’ouvrir un nouveau front politique. Amélie de Montchalin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a confirmé en séance que des notes juridiques détaillées seraient adressées au rapporteur général Philippe Juvin ainsi qu’au président de la commission des finances Éric Coquerel, afin d’exposer les risques précis soulevés par ces amendements.
Quatre mesures sont visées : une taxe sur les multinationales censée rapporter quelque 26 milliards d’euros, une hausse de la taxe sur les rachats d’actions, une taxe sur les superdividendes et une diminution unilatérale du plafond du pilier 2. Ces dispositions, adoptées fin octobre grâce à une alliance ponctuelle entre la gauche et le Rassemblement national, ont été soutenues par des mouvements comme Attac et s’inspirent, pour la taxe sur les multinationales, des travaux de l’économiste Gabriel Zucman. Mais pour Bercy comme pour plusieurs juristes auditionnés, ces textes ouvrent la voie à un long contentieux.
Roland Lescure, ministre de l’Économie, a rappelé dans l’hémicycle que la taxe sur les multinationales entrerait directement en conflit avec les 125 conventions fiscales bilatérales signées par la France, traités qui interdisent notamment la double imposition des entreprises. Un écueil majeur, proscrit par le droit européen, qui rendrait selon lui la mesure rapidement inapplicable devant les tribunaux. Le ministre a souligné que les multinationales pourraient multiplier les recours si la disposition venait à être votée en l’état, exposant l’État à un risque juridique et financier considérable.
La baisse unilatérale du seuil du pilier 2, le dispositif qui impose un taux d’imposition minimum mondial de 15 % aux multinationales, constitue un autre motif d’invalidation potentiel. Ce mécanisme, fruit d’un accord international négocié sous l’égide de l’OCDE puis transposé dans une directive européenne en décembre 2022, ne peut être modifié par un État membre seul sans contrevenir au droit communautaire. Pour Bercy, cet amendement minorerait un dispositif international que la France s’est engagée à respecter, fragilisant ainsi la crédibilité du pays dans les négociations fiscales mondiales.
Les porteurs des amendements refusent cependant de céder du terrain. Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, estime que ces critiques relèvent davantage du choix politique que du droit. Selon lui, les mesures défendues sont « entièrement conformes à la législation française et internationale » et ne feraient que garantir l’application effective des taux déjà prévus. Une lecture contestée par le gouvernement mais qui témoigne d’un bras de fer croissant autour de la fiscalité du capital, au cœur des débats budgétaires depuis plusieurs mois.
Le texte doit désormais être examiné par le Sénat, dominé par la droite, où ces mesures devraient faire l’objet d’un examen particulièrement scrupuleux. Amélie de Montchalin a rappelé que la navette parlementaire permettrait de revoir chacune de ces dispositions et qu’« aucune des mesures votées n’est définitive ». Le débat budgétaire devra de toute façon s’achever avant le 23 novembre, date limite pour l’adoption de la première partie du projet de loi de finances. D’ici là, la bataille juridique et politique promet de se poursuivre, sur fond d’urgence budgétaire et de tensions institutionnelles.
Sources :
Le Figaro – Analyse des mesures fiscales – [lien]
Le Monde – Conflits avec le droit européen – [lien]
Capital – Débats parlementaires sur le pilier 2 – [lien]
LCP – Suivi des discussions à l’Assemblée nationale – [lien]