Au Sido, le 17 septembre, une conférence réunissant chercheurs, décideurs publics et représentants du secteur privé a mis en lumière les fractures et les atouts de l’Europe dans la bataille numérique mondiale. Entre retard d’investissement, dépendance aux géants étrangers et volonté de construire une « troisième voie » européenne démocratique, le débat a révélé l’urgence d’une stratégie cohérente axé sur la régulation, sans évoquer ses éventuels dérives à l’heure ou l’ONG Civilization Works, se basant sur le dernier volet des Twitter Files a sortie un rapport intitulé : « Comment la France a inventé le complexe industriel de censure? » en Europe.
La scène du Sido a accueilli une discussion dense autour d’une question brûlante : l’Europe peut-elle encore rééquilibrer les rapports de force face aux mastodontes américains et chinois du numérique ? Modérée par Anne-Sophie Béllaiche, rédactrice en chef de L’Usine Nouvelle, la conférence a réuni des intervenants aux parcours variés : la chercheuse Ophélie Coelho (IRIS/CNRS), Arno Pons (Digital New Deal), Emanuela Girardi (ADRA), Olivier Cazzulo (Numeum) et Anuchika Stanislaus (France 2030) . Tous ont dressé un état des lieux contrasté, oscillant entre lucidité et volontarisme notamment sur la question de la régulation.
Un retard structurel difficile à combler
Anne-Sopie a posé le cadre du débat en signant qu’aux Etats-Unis, la construction de Data Center venait de dépasser la construction de bureau et signalé que Mario Drgahi, un an après son fameux rapport signalant notamment le retard européen face aux Etats-Unis dans le domaine de la Tech, vient de constater que la situation s’est empirée. En 2024, les États-Unis comptaient déjà 40 grands modèles de fondation en intelligence artificielle, la Chine 15, contre seulement 3 pour l’Union européenne. Une asymétrie frappante, que Girardi qui travaille avec l’Union européenne et qui revient d’un voyage en Chine a illustrée par l’écart abyssal des investissements privés : plusieurs milliers de milliards mobilisés par Washington et Pékin, contre des ressources limitées sur le Vieux Continent.
Pour autant, réduire le débat à une course aux « géants » serait trompeur. Ophélie Coelho de l’IRIS, think tank français spécialisé sur les questions géopolitiques et stratégiques a insisté sur l’importance de cibler les « nœuds de dépendance » stratégiques, plutôt que de chercher à tout prix à copier les GAFAM. Un avis partagé par Arno Pons, du Think Tank Digital New Deal qui prône « un numérique des Lumières, européen et humaniste » sur son site Internet. Il a évoqué la troisième voie européenne, démocratique, essentielle selon lui face au libertaires américain et au totalitarisme chinois. Il a préconisé une approche décentralisée, fidèle à l’esprit originel d’Internet, appuyée par un indice de résilience numérique permettant de mesurer les dépendances réelles des entreprises.
Des atouts européens sous-exploités
Malgré ce retard, l’Europe conserve des cartes maîtresses. Le rôle de la société ASML dans la gravure de puces, l’excellence de la recherche scientifique, le poids de l’industrie manufacturière et des avancées comme Mistral AI ont été cités par Anuchika Stanislaus comme preuves de vitalité. Elle a souligné que France 2030 préférait se focaliser sur un narratif positif et a rappelé que son agence dispose déjà de 54 milliards d’euros, dont 39 investis, et que des clusters d’IA ont été déployés sur tout le territoire afin de former et accompagner les talents. Elle a également évoqué le programme « Pionniers de l’IA », doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros visant à soutenir des initiatives audacieuses, à fort potentiel de rupture, capables de transformer des secteurs entiers grâce à l’Intelligence artificielle.
Mais les obstacles demeurent nombreux. Olivier Cazzulo, vice président de Numeum, syndicat et lobby de l’industrie du numérique a également évoqué la troisième voie européenne essentielle. Il a insisté sur la nécessité d’une commande publique et privée plus volontariste, pointant du doigt la fragmentation européenne et l’éparpillement des initiatives nationales. Sans marché commun numérique structuré, difficile de rivaliser.
La régulation : arme défensive et levier d’avenir
Tous les acteurs ont mis en avant la puissance normative de l’Europe, avec des textes structurants tels que le Digital Market Act, le Data Act ou l’AI Act. Mais la régulation peut se révéler un couteau à double tranchant : facteur de stabilité pour certains, frein pour d’autres, notamment les start-up. Girardi a mis en garde contre une « pelote réglementaire » trop lourde, plaidant pour une simplification progressive et un soutien accru à l’open source, souvent relégué au second plan.
Au-delà de l’encadrement juridique, le débat a révélé l’importance d’un arbitrage clair : protéger les données et orienter les investissements vers des filières européennes, tout en évitant d’étouffer l’innovation. Pour Arno Pons, la régulation constitue une forme de « soft protectionnisme » indispensable, un moyen de compenser le déficit technologique par une approche politique et juridique affirmée. Coelho a carrément prôné de quitter la « doxa doucereuse » afin de légiférer et d’imposer des amendes pour obliger à consommer européen, q ce qui n’est pas très démocratique. Elle a également loué le DSA qui « tape sur les grandes plateformes, qui sont toujours les mêmes », faisant sans doute allusion à X (anciennement Twitter).
Si la question de l’influence de la régulation sur la compétitivité a été abordée, il n’a jamais été question de libertés individuelles alors que des textes tels que le DSA qui régule les plateformes de réseaux sociaux est critiqué par les défenseurs des libertés et que l‘ONG Civilization Works, se basant sur le dernier volet des Twitter Files a sorti un rapport intitulé : « Comment la France a inventé le complexe industriel de censure? » en Europe. Il est notamment signalé que dans l’hexagone, des ONG tels que Sos Racisme et la Licra auraient été utilisées pour cibler Twitter. Un signal à prendre en considération sachant qu’aux Etats-Unis les Twitter Files avait entrainé une audition des anciens cadres de Twitter à la chambre des représentants où les représentants Républicains leur ont promis la prison pour avoir mis place un système de censure, notamment durant la crise sanitaire.
Vers une troisième voie européenne
Au fil des échanges, un consensus s’est esquissé : l’Europe ne peut ni se contenter d’un suivisme vis-à-vis des États-Unis, ni céder aux modèles centralisés chinois. Elle doit tracer une « troisième voie » numérique, fondée sur l’État de droit, la coopération interétatique et un tissu d’entreprises innovantes. La question africaine, soulevée par plusieurs intervenants, a également mis en lumière l’opportunité d’un partenariat stratégique sur un continent en pleine expansion numérique, mais déjà fortement courtisé par Pékin et Washington.
En filigrane, l’enjeu est clair : rétablir un équilibre mondial ne passe pas seulement par l’innovation technologique, mais aussi par une vision politique forte, une capacité d’investissement soutenue et une mobilisation collective des acteurs publics et privés. La régulation a été au centre des débats, mais sans jamais évoqué la question de ses éventuelles dérives. Nous avons essayé d’interroger Ophélie Coelho et Anuchika Stanislaus qui nous ont indiqué ne pas communiquer avec des journalistes non fléchés. Olivier Cazzulo, vice-président de Numéum a accepté de nous répondre. Il nous a parlé de »L’Equipe de France du numérique », une initiative visant à fédérer une soixantaine d’association à la question de la régulation. Lorsque nous l’avons interrogé sur les potentiels dérives de la régulation, il a spontanément évoqué les risques sur l’innovation et non sur les libertés individuelles. Il a toutefois souligné que « la régulation protège le citoyen et c’est quelque chose de fondamental ».