La Turquie, premier producteur mondial de noisettes, voit sa récolte 2025 ravagée par la sécheresse et les ravageurs. Ferrero, géant italien du Nutella, refuse de payer des prix doublés, provoquant la colère des négociants turcs. En toile de fond, une guerre économique pour le contrôle du marché mondial du fruit à coque.
Sur les collines verdoyantes d’Ordu, surplombant la mer Noire, les paysans turcs regardent leurs vergers de noisetiers avec amertume. En 2025, la récolte s’annonce comme l’une des pires de la décennie. Le gel printanier, suivi d’une sécheresse inédite et d’une invasion de punaises marbrées brunes, a décimé les plantations. Résultat : la production ne devrait pas dépasser 500 000 tonnes, contre 700 000 lors d’une année normale — un désastre pour la Turquie, qui fournit près des deux tiers des noisettes consommées dans le monde.
Ce déficit brutal a fait flamber les prix, presque doublés depuis l’été, selon le Financial Times. Mais la crise dépasse le simple choc agricole : elle oppose désormais les négociants turcs à Ferrero, le groupe italien propriétaire de Nutella, Kinder et Ferrero Rocher. Premier acheteur mondial de noisettes — il en consomme près d’un quart de la production planétaire —, le géant transalpin refuse de céder à la spéculation.
Face à l’explosion des prix, Ferrero a choisi de geler ses achats, puisant dans ses réserves et cherchant des alternatives au Chili ou aux États-Unis. « Nous ne sommes pas pressés d’acheter », a ironisé Marco Botta, directeur de l’approvisionnement du groupe, en se présentant comme le « nouveau Godot des rois de la noisette turque », allusion à l’attente sans fin des personnages de Beckett.
Mais du côté des négociants turcs, la colère gronde. Beaucoup ont acheté massivement la récolte aux cultivateurs, pariant sur le retour inévitable de Ferrero. « Ces types font quasiment chanter le groupe italien », résume Giles Hacking, un négociant londonien cité par le quotidien britannique.
Pour les producteurs locaux, en revanche, la hausse des prix est vécue comme une revanche. En pleine inflation — plus de 30 % dans le pays —, cette embellie leur redonne un peu d’air. À Ordu, un cultivateur raconte avoir récolté à peine 30 kilos, contre 1,5 tonne les années précédentes. « Les prix augmentent, mais ils sont là où ils devraient être », confie-t-il, avant d’ajouter, fataliste : « Les pêcheurs de la mer Noire gagnent en un jour ce que nous faisons en un an. »
La situation reste explosive : si Ferrero persiste à retarder ses achats, les négociants turcs pourraient chercher à écouler leurs stocks ailleurs, quitte à redessiner les équilibres d’un marché mondial déjà sous tension. Le « Nutella diplomacy » est devenue, cette année, un symbole inattendu de la fragilité des chaînes agroalimentaires mondialisées.
Sources :
- Courrier International – « Pénurie. Les noisettes de la discorde entre Nutella et la Turquie » – courrierinternational.com
– 31 octobre 2025
- Financial Times – « Ferrero halts Turkish hazelnut purchases amid soaring prices » – ft.com
– octobre 2025
- Anadolu Agency – reportages sur la récolte de noisettes à Ordu et Giresun – aa.com.tr
– septembre 2025